Tristan Cabral
Faut-il attendre la mort des poètes pour les lire enfin ? Tristan Cabral publie, loin des lumières éditoriales, depuis plus de quatre décennies. Une vingtaine d’ouvrages à ce jour pour cet homme né en 1944, d’une Française et d’un militaire allemand, qui fut pasteur, professeur de philosophie, détenu, voyageur et interné. Son fil rouge ? Rendre « la parole à des gens qui étaient réduits au silence ». On le croise en Irak, en Turquie, en Palestine ou en Amérique latine – avec dans sa sacoche, toujours, une édition bon marché de Rimbaud (numéro 498). Incarcéré quelques mois sur le sol français, en 1976, le poète se réclame de la Révolution : celle qu’il attend depuis demain.
Dans JULIETTE ou le chemin des immortelles, vous faites remonter votre vocation de poète à la lecture d’un poème de Rimbaud, « Les Effarés ». Tout part vraiment de là ?
C’est bien de commencer par ça. Mais, antérieurement, je dois dire que j’ai vécu dans une maison du silence. On parlait très peu. J’étais fasciné par les quelques mots qui circulaient. Et le choc, oui, ça a été un instituteur merveilleux, qui recopiait des poèmes entre midi et deux, avec une superbe écriture, comme autrefois les instits. Et une fois – j’avais huit ans –, j’ai vu « Les Effarés ». Je me suis dit que ça m’était adressé et je me suis mis à pleurer. Il est venu me voir pour me demander ce que j’avais et je lui ai répondu : « Merci pour les mots. » Et j’ai découvert que toute la vie était dans les mots, qu’il fallait les aimer et les rechercher partout où ils étaient. C’est là que j’ai été piller, si l’on peut dire, l’armoire de livres où il y avait un peu de tout, y compris, je me rappelle, Le Génie du christianisme de Chateaubriand ! J’ai alors compris – et d’autres que moi pourraient bien sûr dire la même chose, à commencer parMallarmé – que toute la vie doit finir dans un livre. Les mots m’ont sauvé la vie ! Mais ce n’est pas du tout original ce que je vous dis là.
Vous avez, bien plus tard, enseigné la philosophie. La langue poétique s’est-elle imposée, pour vos écrits, comme une évidence ?
Je n’ai jamais séparé la philosophie du travail poétique. Ceux qui l’ont fait, comme Sartre, ont dit un peu n’importe quoi. Il m’a semblé qu’il n’y avait pas de contradictions entre Breton etMarx, que tout cela allait ensemble. La philosophie arrive tard, alors que la poésie était là, elle est sans âge. Elle ne vous quitte jamais alors qu’on peut se séparer plus facilement de la philosophie car elle est plus arbitraire : dans un poème, rien n’est arbitraire. Il n’y a que de l’essentiel – Bergsonl’avait très bien compris. Il n’y a pas de mensonge possible avec la poésie : chaque mot compte. En philosophie, on peut raconter beaucoup de choses, se contredire souvent, mais on n’imagine pas ajouter un mot à Une saison en Enfer ou aux textes de Michaux. Les poèmes, en eux-mêmes, sont absolus – ce qui arrive très rarement chez les philosophes, qui sont beaucoup plus malhonnêtes, à certains égards !