La vie m'envaste
Je vous aime petits fleurs des champs piquées
dans les poils d'herbe et vous aussi vaches à têtes
carrées, grosses pâquerettes, broutant le pré qui
touche au ciel, peignant un nuage avec votre queue.
Je vous aime chenilles, escargots, paons du jour et
vous aussi sales mouches.
Je vous aime bourgeons sucrés, petites feuilles,
petites flammes d'un vert pointu comme les yeux
des chats et vous aussi grandes feuilles lisses
comme des miroirs et vous encore feuilles tombées,
maquillées, trouées comme des visages.
Je vous aime amis fidèles et infidèles dans vos
habits de toujours vivants.
Je t'aime ma femme aux longues jambes, plus quel
tu ne le supposes, et vous aussi enfants à têtes
d'anges.
Je t'aime brouette trop lourde de mon cœur et toi
aussi rat de ma tête même quand je cogne quand
je tue tes petits à coups de bêche parce qu'il faut
bien quand même veiller au grain.
Je vous aime tous je vous assure et je ne sais si j'en
vis si j'en crève, je suis vous êtes parfois si imparfaits,
mais de vous à moi la musique est tellement
tellement belle.
Oui, je suis bien dans l,été de mon âge.
Les êtres, les choses m'envahissent, me bousculent.
Je les étreins, je les défriche, je les renverse.
Je ne me cherche plus, je me disperse.
Je déborde comme un fouillis de viorne et de lierre.
Je sème; le grain lève, fragile et rose; déjà je suis
ailleurs. Et qu'importe si la récolte se fait sans moi.
Mes pensées filent comme le liseron.
Mes actes éclatent comme des fruits mûrs.
Les forêts, les prés, les oiseaux, les hommes me
montent à la tête. Terre, Terre, comme il fait bon s'étendre
à travers toi!
Jean Le Mauve