À la lueur de la lune
J'écris surtout la nuit, à la lueur de la lune, avec du vrai papier, avec du sang, de la sueur et de l'encre. Chaque phrase est comme un creux du lit, un coin d'oreiller mouillé de fièvre. Où vont-ils ceux qui n'arrêtent jamais? Tous les aéroports se ressemblent, tous les hôtels de luxe, tous les voyages tout inclus. Ils se perdent de tarmac en tarmac. Je préfère un ticket vers l'imaginaire, un nord sans boussole, une plage de sable sans fillette à vendre. Le bruit du cœur quand il aime enterre le bruit des balles. Il y a quelque chose dans les yeux qui fait qu'on monte ou qu'on descend. Il y a du bruit dans les oreilles qui fait de la musique. Il y a des gestes dans les mains qui font toujours l'amour. Il y a des mots sur du papier qui rejoignent les arbres. Sous le blanc seing du monde, la pointe d'un stylo excrète encore du songe. Que reste-t-il du vieux vieux temps que les cocoricos qui prolongent le rêve, le choeur désaccordé des heures qui s'éveillent, le petit cœur d'enfant qui fait battre le mien? De mes plumes perdues dans un combat de coq me reste celle qui écrit et mon rêve d'enfant. Dans le passé recomposé, les fantômes ont une pioche. Ils creusent la mémoire et je m'enfonce dans les trous. Les mots sont des vlimeux. Ils sortent quand ils veulent. Ils pleurent où je veux rire, sautent à la corde avec Sonia, mettent du rouge aux joues de Christine, à cause d'une claque ou d'un baiser. Ils parlent de mon père qui se fiche des médailles. Faut-il tuer pour vivre? Il a dit non et préféré ma mère. J'ai toujours cru que Francis était vain. Je me trompais. Il est plus près de ses enfants que je le suis des miens. Éric chante le blues comme un Blanc de banlieue. Qui suis-je pour juger? Un Blanc n'est jamais Noir sur une ligne de montage. Quand à Norman, on ne parle pas d'un saint sans se laver les mains. Les miennes sont tachées du malheur des hommes.
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La terre tremble à notre insu. Les plaques tectoniques ne cessent de bouger. Les continents dérivent. L'achat est devenu un tic à l'échelle planétaire. Il est fréquent ici de vivre quatre saisons en une seule journée. La neige tourne en pluie et, soudainement, il fait soleil. Cela se manifeste chez les hommes par un claudiquement de l'âme. Il y a des jours où mon espace intérieur est comme un véritable orage. Mon père nous a laissé l'orgueil en héritage, mais je n'ai jamais su si c'était bien ou mal. Je n'entends que les mots quand je rêve de vivre. Certains me restent dans la gorge, d'autres m'auscultent les oreilles. Le style de chacun, c'est sa façon d'être au monde. Les petits poètes comme je le suis doivent se méfier des mots. Ils ne savent pas écrire sur commande. Ils prennent souvent le champs pour le chant d'un oiseau et quitte l'autoroute pour une toile d'araignée. Les mots tombent avec un bruit de verre. Il est difficile de marcher sans se blesser les pieds, difficile de parler sans se tromper de phrase. Je continue d'écrire, à moitié pour la vie et l'autre pour la mort. Le pire dans la vie est de ne pas douter. On ne peut pas faire de fric sans miser sur le mal. J'ai parié sur la vie quitte à mourir de faim. Nous sommes tous maintenant des êtres dévariés*. Personne n'est plus dans son assiette, mais dans un bol commun. Pourquoi écrire ses notes? Il est présompotueux d'écrire. On ne trouve jamais le mot transcendant tous les autres, l'image unique, la métaphore ultime. J'ai beau noircir des pages blanches, c'est là que je lave mon angoise. Ce sont les petits rien qui font la vie. On a besoin pour vivre de la lumière de l'amour. On n'échappe pas à la mort pas plus qu'on échappe à la douleur.
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Mot des Cévennes signifiant ne pas être dans son assiette. En France aussi la grammaire a encore de beaux restes.
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On n'écrit jamais sans un certain malaise, de honte ou d'orgueil. À quoi bon compter les jours, la vie ne dure qu'une seconde. Je n'ai aucun respect pour les institutions, encore moins pour leurs représentants. Je n'écris pas pour celui qui se rend en limousine dans une clinique privée, mais celui qui tâtonne en chaise roulante dans la sloche et la bouette pour poireauter six heures dans une salle d'attente. Ne croyant pas en Dieu, je garde toujours en moi un peu d'espoir. Après tout, c'est sûrement pour le désert que les orages existent. Je reste ce ringard qui tisonne le feu, pas celui qui a peur des routes inconnues. Pour supporter les pincements du froid, il fait faire chanter les blancs sanglots de neige, arracher les épines au pied de chaque mot lorsque la phrase boite, trouver quel rapport existe la langue et le pays, l'écriture et le climat. Il y a toujours la peur derrière chaque rature, un doute derrière le geste. À la vitesse où l'homme dilapide ce qu'il a, le mot demain n'a plus de sens. On écrit de plus en plus sur du vide. On marche sur du verre avec nos gros sabots. Au bout de chaque soif, les trois syllabes de l'eau viennent humecter la page. J'avance sur le papier des jours. J'y tombe aussi quand mon stylo dérape. On ne voit pas ce que l'on nie. On est rarement ce que l'on dit. On fait rarement ce que l'on veut. Ce que j'aime dans la beauté, ce sont les petites imperfections qui la rendent plus vraie et nous rapprochent d'elle.
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Le capital a troqué les ailes d'un ange pour les pales du mal. Brasser du vent ou des affaires ne mène pas plus loin qu'à l'enfer et son cul de sac économique. À force de chercher l'or dans la boue, on ne trouve à la fin qu'un ver dans la pomme.On ne finit jamais vraiment par être ce qu'on écrit, mais on finit toujours par être ce qu'on vit. Les cœurs, puisqu'ils sont tous à gauche, ne se font jamais face. Les cœurs des amoureux se cherchent l'un dans l'autre. Je ne veux pas de la tendresse qui rassure, mais de celle qui permet. Les masques tombent sur un visage embrumé d'émotions. La vie nous pousse dans le dos. Elle traverse les choses. La pluie annonce le dégel. La glace fond déjà. L'angle du lac reste ouvert. Ce n'est pas la beauté qui m'attire, mais ce qui s'en approche. Je ne cherche pas des preuves, mais des signes. Je transporte avec moi mes seaux de chagrin, de bonheur, d'espoir, ma valise de mots, mes sacs d'ignorance. Les cris de solitude se mêlent aux cris de communion. J'ai peur, quand la bombe aura sautée, qu'il ne reste que les cons, ces mêmes vieux planqués qui recomptent leurs sous. Ces faux-culs ont fini par jouer le monde aux cartes. Ni fantômes ni zombies ne survivent à la guerre, mais des graines germent encore sous la cendre et la boue.
Jean-Marc La Frenière