Capitaine Bonheur

Publié le par la freniere

Le Capitaine Bonheur a perdu son costume. Il est trop lent. Il est trop las. Il est là sans savoir où il est. Il ne peut plus cacher les trous de balle qui saignent, les épines qui piquent, les cicatrices de l’âme, les brûlures du cœur. Même armé d’un sourire, il se blesse les dents. Il marche sur les cendres en balbutiant des nombres. Il est là sans trop savoir où c’est. On tire à vue sur son voilier. On coupe les ailes des oiseaux. Il n’a plus pour souper qu’une fourchette sans dents, une soupe d’eau de mer, un vieil os de pluie mordu par les nuages. La proue du jour s’enfonce dans la vase, ses songes de pétrel englués dans le mazout.

 

Le Capitaine Bonheur a perdu la raison. Il ne voyage plus de Charybde en Scylla. Il n’est plus sûr de rien. Il traîne sur l’épaule un sac d’hypothèses. L’amande qu’il croquait est devenue caillou. Son mémoire est une boite de Pandore que nul n’ose ouvrir. Son visage est en berne dans les dessins d’enfant. Il n’y a plus d’oiseaux à Tchernobyl. La ligne d’horizon se gondole et s’éteint. Quelque chose du temps s’atrophie dans l’azur.

 

Le Capitaine Bonheur a perdu la parole. Ses mots s’envolent dans une image trop grande. Les roues tournent à l’envers sur son vélo cassé. Les mots courent dans les champs. Les mots coulent dans les reflets d’orage sans atteindre la terre. Les graines attendent en vain, la bouche grande ouverte. Le Minotaure s’ennuie au fond du labyrinthe.

 

Jean-Marc La Frenière

 

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article