J'ai mal à mon pays
À Gérald Godin
Par la grégousse et la picouille, par la souque et la noune, par la cantouque et la babiche, par la baboche et la batèche, par la poutine et la pitoune, par la snoutte et l’eau d’érable, par la garouine et le totem, par les guernouilles et les corneilles, par les babioles et les barniques, par la couenne dure et la garnotte, par la plorine et le marcou, par les pawn-shops et les barguignes, avec la langue des charretiers et des limeurs de sciottes, la parlure en patchwork, nos cicatrices à l’âme, la détresse, l’angoisse, la souffrance, nos larmes résignées, nos doigts sous le marteau du boss, nos cris de durs de la feuille, nos mots de chienne à jacques, nos têtes de pioche, nos cœurs à gage, nos garages à rabais, nos sparages de feluette, nos pieds et poings liés, nos mini-putt et nos ceintures fléchées, nos bowlings et nos bières, nos yeux en graisse de binnes et nos œufs dans le vinaigre, nos lèvres dans la blessure du verbe, le frisson des traqués, nos huards en chute libre, nos ombres en laisse et la lumière en porte-voix, avec nos réponses qu’on apporte à la vie, j’ai mal à mon pays. J’habille ma colère en étoffe d’hiver et en mitaines pas de pouce. J’ajoute un hochet d’espérance au berceau des taudis. J’agite un drapeau noir sur le vocabulaire. Je mets un bonnet d’âne sur la télévision, la hache dans la gammick des affaires. J’envoie la sainte flanelle au banc des punitions et leurs gérants d’estrade au diable vauvert. Je suis en simmonaque, en tabarnaque, en saint-chrême, en enfant de chienne, en beau calvaire. Il y a tant de portes à ouvrir, tant de voleurs, tant de verrous, tant de crosseurs à slaquer, si peu de mine dans le crayon, tant de distance entre la chair et l’âme, entre l’homme et la femme, entre Facebook et l’amitié, entre les mots et le papier, entre le sang des morts et l’encre des journaux, la course des enfants, le pas lent des vieillards, les vraies couleurs du monde, les reflets au néon. Le manque au fond des choses agrandit ce qui manque et le surplus de choses engraisse le néant. Ma langue maternelle saigne sous la fourchette des prix. Floué par le murmure marchand, la langue de bois et la voix des sirènes, mon peuple est le premier pays à dire non à sa propre existence. La feuille dans le silence des érables n’est déjà plus un mot mais le drapeau d’un autre. Les pas se sont fait lourds dans la marche à l’amour. Dans le déséquilibre des échanges, j’habite un pays qui ne veut pas de lui et se refuse à naître. Les gens se sont dits non. Ils ont dit non à tout pour être sûr de rien.
Jean-Marc La Frenière