Les chemins perdus

Publié le par la freniere

Je ne suis plus là. Je ne suis pas où vous croyez. Nombre dissous parmi les nombres, j’ai perdu ma trace. J’ai traversé la route. Je suis là-bas. J’ai crevé l’écho, l’écho même de l’écho. Je suis dans l’invisible. Les mots ont pris la forme de mon corps. Ce sont eux que l’on voit. Je suis ailleurs. Les chemins perdus se confondent dans mes pas. Le feu bascule dans l’eau froide. Je tombe. Je n’arrête pas de tomber. Je marcherai plus loin malgré le froid qui règne et la noirceur qui dure. Je cherche la lumière et la chaleur du monde.

 

Tant de rêves sont morts. Tant de neige est tombée. Tant de larmes ont gelées. Il faut croire à la source. Je ne sais plus rien. Je n’ai jamais rien su. Je ne suis pas là. Les balises perdues. Les phares vacillants. Les rails arrachés. Je tombe. Je regarde sans voir. J’écoute sans rien entendre. J’habite les mots frêles, une brume avant l’aube. Je brûle sous la cendre. Je coule sous la neige. Je suis ici sans être ici. Je suis ailleurs sans être là.

 

Les lignes brisées du temps s’écartent à l’infini. Les lignes du silence bougent. Il ne fait plus jour. Il ne fait plus nuit. Il ne fait plus rien. Je dessine un sourire sur la douleur des murs, mais je ne suis plus là. Je suis là-bas. Je tourne en rond dans un monde carré. Je perds mes pas par les trous d’un soulier. Je n’entends pas. Je ne vois pas. Je ne sais plus qui être. Le circuit des neurones a perdu ses blue-prints. Je me dois d’inventer le sol où je m’appuie.

 

Nous survivons posthumes dans l’ère nucléaire. Je suis inadapté, irrécupérable, statistique quantitativement négligeable. Je n’ai pas lieu dans ce monde rempli de faussaires et de parasites. Je suis comme une offrande dans la gueule du loup. Comme des aveugles et des sourds, nous tâtonnons les uns devant les autres. Je ne sais plus qui je suis. J’attends sans espoir. Je n’attends rien. Je suis déjà là-bas. Trop de mots, trop de choses. La machine, la roue, le retour, le départ. On m’a tout pris, tout brisé. La révolte et la grâce. L’impossible et la chance. J’ai traversé la mer sans phare, le miroir sans fard, le midi sans soleil. J’aspire à ce qui m’échappe, l’insaisissable, l’inaccessible. Mes mots s’arrêtent toujours au seuil de l’inexplicable, au début du silence. Je crois aux mains tendues. Je crois à la vue des aveugles. Leurs yeux me guident vers ailleurs.

 

Ailleurs, nulle part, quelque part sans doute. La vue nous aveugle. La surdité nous oblige à entendre. Je ne suis sûr de rien. J’habite un lieu sans consistance où je rêve de voyage. L’ici est vide. L’ailleurs est plein. Terre d’abandon, d’imprévu, d’impossible. La vraie beauté est celle qui s’efface. Sans cause ni raison. Je ne sais ce qui vient. Je ne sais ce qui part. On ne voit jamais ce que l’on est. Je ne suis pas d’ici. Je ne suis pas d’ailleurs. Je suis là-bas. Je suis inadéquat. Je crois à la lumière, celle qui allège du fardeau, l’essence du miracle.

 

J’ai ma vie posée dans un coin. Elle vacille sous les coups, mais n’a rien renié. Je suis mort tant de fois dans les cours d’école, les salles d’attente, les parvis de banque, les terrains vagues. Je ne sais plus si j’approche ou m’éloigne. Les portes claquent. Les planchers craquent. Un verbe dans chaque main, je saurai me défendre.

 

Jean-Marc La Frenière

Publié dans Prose

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