Une piqûre d'abeille

Publié le par la freniere

La nuit recoud sans cesse ce que le jour défait. J'aime l'accord de l'eau avec les herbes, les petits œufs de l'ombre dans les nids de soleil. Les parfums montent jusqu'au ciel. Les oiseaux chantent sur les branches. L'herbe se couche sous les orages et reverdit chiendent, pelouse ou pâturage. Les couleuvres glissent sous le tendre des aulnes. Par les nuits sans lune, même couché sous la terre, mon loup m'indique le chemin. Je grossis à en perdre le souffle dans la graisse du monde. Le temps qui bonifie le vin et patine le bois, ne fait rien pour les hommes. Je me rêvais ermite dans le fond d'un désert et je finis termite dans le bois d'un cercueil. Je ne veux pas crever en pyjama rayé ni en jaquette d’hôpital tout hérissé d'aiguilles.

 

L'être humain rêve d'être unique, mais l'air, la terre et l'eau sont les mêmes pour tous. Pourquoi l'homme en saurait-il plus que la pierre et les blattes qui étaient là bien avant lui? Je ne sais plus pourquoi j'écris. La plupart des livres meurent bien avant leur auteur. Très jeunes, on joue aux billes. Plus tard, c'est avec les filles que l'on apprend la vie. Les amis disparaissent un à un. Les manches restent vides dans le fond des placards. Les fantômes se chaussent avec les souliers morts. Ils font clop-clop sur le prélat pour qu'on les croit vivants, mais c'est nous qui mourons un peu plus chaque jour. Les bateaux en bouteille ont fini par couler. Les tapis volants sont en panne. C'est la foi des enfants qui les faisait voler.

 

 

Quand j'entendais passer les trains, l'envie me prenait de partir avec eux. Je relisais le soir, avec une lampe sous les draps, la Prose du Transsibérien. Certains mots sont plus que des mots. Ils sont des gestes et des visages. Sur l'ardoise du passé, on n'efface pas la craie avec le linge sale du présent. Quand j'ai envie de croire en Dieu, l'action des hommes contredit le plumage des anges. Pour exprimer la rose, il faut y mettre des épines. Ce n'est pas une écharde que je cultive en mots, mais toute la forêt. Parmi tant de plaquettes aux verbes anémiques à l'affût de la mode, je ne suis qu'un intrus. J'écris avec un Bic trempé de sang. Sur le visage du papier, l'encre des mots trace des rides. Le corps est une chrysalide dont l'âme s'apprête à s'évader.

 

Me faudra-t-il hurler comme une chienne à la mort? Les oiseaux boitent dans le smog des villes et les poissons se noient dans une mare de pétrole. Tous les égouts mènent à la mer et les mouettes au dépotoir. Accroupi dans les bruits, j'écris sur du bois mort. À l'écoute des herbes, j'étudie le miracle. La santé est mal vue dans un monde de malades. Je marche dans les ruines où les chiens policiers traquent les anarchistes. J'accompagne les mûres dans leur habit de ronces. Je porte dans la voix des chemins insoumis. Je sème dans la nuit le blanc des cerisiers. J'avale des contre-ut sur une portée aphone. Je regarde le monde avec des yeux d'enfant sur un nid de paupières. Je dépiste l'immonde derrière les apparences. Sur la Carte du Tendre le sang coule sans cesse d'une blessure béante. Empalée sur un cou, ma tête pousse un cri. Je dessine un radeau dans le sillage des naufrages. On entasse des milliers d'émigrants dans des camps sans latrines. À chaque fois qu'on tue, qu'on abat, qu'on torture, je soulève le monde avec des bras cassés. Je peux toucher la mort avec la main qui manque. On a planté partout des barreaux immobiles. Les balles en caoutchouc qu'on tire sur la foule peuvent crever des yeux. Les têtes qui cognent contre les murs ont perdu la langue entre la douche et la seringue. On porte tous sous la peau une tête de mort. Des idées noires se mêlent aux poèmes oubliés. Loin des injures et des commandes, il y a des mots qui font du bien. J'apporterai des rames aux barques insensibles.

 

Jean-Marc La Frenière

Publié dans Prose

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