Hélène Monette s'est éteinte

Publié le par la freniere

Elle parlait du «chaos qui met au monde le soleil», dans son livre Unless, paru en 1995. Puis, l’an dernier, dans Où irez-vous armés de chiffres?, elle parlait des «coulisses de la Mort, où l’humanité disparaît».


La romancière et poétesse Hélène Monette est morte jeudi dernier, d’un cancer du poumon qui la rongeait depuis au moins 18 mois. Rebelle et incisive, Hélène Monette avait publié un premier recueil de poésie,Passion-poésie manifeste, en 1982.


La profonde originalité de son œuvre a été couronnée en 2009, lorsqu’elle a reçu le Prix du Gouverneur général pour son recueil Thérèse pour joie et orchestre, qu’Hélène Monette avait écrit en hommage à sa sœur, décédée elle aussi du cancer en 2005.


Le directeur général de l’UNEQ, Francis Farley Chevrier, qui connaissait l’écrivain depuis de nombreuses années, insiste sur l’originalité de l’œuvre d’Hélène Monette, qui jouait sur différents registres, capable de manier l’humour avec beaucoup d’ironie, mais aussi la tendresse.


Son dernier livre, Où irez-vous armés de chiffres? s’attaquait cependant à la langue de bois et à l’époque de l’hyper-communication sans chaleur, sans véritable partage, sans humanité.


«Je ne choisis pas ce sur quoi j’écris, disait-elle alors au Devoir. Si je choisissais, j’écrirais du roman historique et je gagnerais honorablement ma vie. Je reçois la violence sociale et j’en reparle. Ça me rentre dedans, ça m’indigne, ça m’émeut, ça me traverse, ça fait partie de ma vie. On ne parle que de ce qu’on connaît ou de ce qui nous bouleverse.»


Hélène Monette laisse dans le deuil, outre ses lecteurs, sa fille Lili Monette-Crépô. Selon sa volonté, il n’y aura pas d’obsèques. Mais ses proches organiseront sous peu une soirée de lecture en son honneur avec les Éditions du Boréal. La date demeure à déterminer.


Lucie Joubert a étudié «la comédie, grinçante, de l’amour» chez Hélène Monette, notamment dans le recueil de nouvelles Crimes et chatouillements.


«Dans les récits de Monette, tout est toujours à refaire, écrit-elle dans La comédie de l’amour, Actes du colloque du CORHUM en 2005. Peu fiables, frileux et instables, les amoureux qu’elle met en scène ont tôt fait de se gâcher mutuellement l’existence». Dans le texte Un gars, une fille, de Crimes et chatouillements, Monette pose ainsi l’iniquité des sexes: «Un gars consolé vaut mieux qu’un gars qui pleure. Une fille qui pleure va ailleurs[…]Un gars parle, une fille fabule. Un gars s’exprime, une fille rush. Un gars discute, une fille se tait. Un gars prend la porte. Une fille prend froid.»


Pour Hélène Girard, qui fut son éditrice, d’abord chez XYZ, puis aux Éditions du Boréal, Hélène Monette avait une place à part dans le paysage littéraire québécois. C’était aussi une excellente lectrice de ses textes en public. «C’était une performeuse», dit-elle.


Très proche de l’auteur depuis une vingtaine d’années, l’écrivain Stanley Péan relève l’extrême sensibilité d’Hélène Monette, son indignation devant les injustices sociales de toutes sortes, même si elle ne «faisait pas des livres à thèse». «J’appréciais énormément son extrême maîtrise de la langue, qui lui permettait de naviguer entre plusieurs niveaux de langage, du plus pointu au plus populaire, avec un naturel désarmant», dit-il. «Dans Thérèse pour joie et orchestre, la poète fait de sa sœur emportée une bienheureuse dont l’esprit flotte désormais au-dessus des êtres et des choses», écrivait le jury du Prix du Gouverneur général. C’est toute la félicité que l’on souhaite à Hélène Monette aujourd’hui.

 

Caroline Montpetit Le Devoir

Hélène Monette s'est éteinte

Maudites coupures

Dans les entailles des blessures le chicot des plumes recommence à brûler ça ne saigne pas mais les ailes ont du mal à pousser

Toutefois de plus en plus tu te fais un sang d'encre tu dors mal la nuit dévisage les autres à la pelle à la loupe et de proche tout le monde est fou tragédie continuelle sang d'encre partout ça coule gluant gothique tyrannique à petit budget la nuit est blanche comme oubliée là tissu sensible comme le ciel entre les arbres qu'on ne reconnaît plus le long des autoroutes tranquilles la nuit blanchit toute chose la vie passe à travers s'enfuit par les mains le sang rame dans les veines de la petite buée de poèmes se colle aux fenêtres aux ampoules aux miroirs de l'âme au verre de rouge qui prie sur la table tu parles il est bleu c'est de l'encre c'est mauvais en diable ça goûte le parfum la misère du monde dans le fond âcre venimeuse qui fait comme de l'hystérie de l'anxiété angoisse totale ça brouille l'estomac à fond le stress effroyable ça rappelle l'époque qui déboule déboussole détonne de l'histoire au complet qui ne brille plus

Sous les sourcils le sang coule dans la rue là-bas aussi les lumières s'éteignent les unes après les autres ampoulées sans fin précieuses la solitude blanchit les murs le matin rouge éclate à petits feux les yeux gardent la tête froide comme de l'eau de roche

T'as tes deux mains tes deux pieds avance arrange ton affaire le désespoir bio comme le chemin de tes veines comme le tracé de tes nerfs comme l'enfer à perpétuité un langage aphone aux abords d'abord idiots quelques pauvres données chimiques comme le chagrin de tes ancêtres à feu et à sang dans les larmes que tu caches sous tes paupières parce qu'il faut bien flotter quelque part le désarroi aux trousses défait par les circonstances à la une visages pâles en série angoisse à volonté maudites coupures océans de tragédies qui débordent jusque sur les cils aspergés de tes yeux rouges ne pleure pas qu'on regarde ailleurs quand on te voit qu'on voit rouge quand on croise une fin du monde dans ton genre pas solide pour la moyenne des ours qui se déchirent l'âme avec tact et circonspection en toute occasion un peu de poudre sur le silence qui pâlit

Sang d'encre pattes de mouche bonnes mœurs tu parles fin des haricots hors champ ça coule en masse et massacre la boucherie des peines on ne voit rien de cet ordre sang de cochon sur l'écran des foules dressées aux bulles d'abîmes toute tristesse le son coupé qui parle aux absents très chers petites foules mortes chacun embaumé comme une virtualité-tendance qu'on n'a pas eu le temps d'apercevoir dans les trucs en vrac pas vraiment utiles

Ça s'éteint il fait sombre le rouge du monde dans les nouvelles les ruelles les pixels l'espace d'un autre site le mauvais sang en direct des âmes carbonisées que tu n'as pas connues mais qui t'arrachent ce qui te reste de temps qui coule et roucoule que tu n'en peux plus

Foule stress qui donne le la universel au coin de la rue pleine de nids de poules écrasées sinistre monde trash qui te découpe le cœur en bleus de l'âme par millions de particules paramètres et formules de moins en moins lumineuses comme une patente privée qui ne se répare pas et qui n'arrange rien

Au-dessus de l'explosion nos ombres effarées effrayées l'anxiété fume efface les traces qui disparaissent dans un lavis de tranche de vie du bord que ça tue

Tout est cuit les ailes arrêtent de pousser par ici l'air sec du désespoir cautérise les marques le cœur expire n'inspire plus on n'a rien vu on te le dira ça ne fait rien ça ne saigne pas alors retourne dans la cage aux lions comme tout le monde en béton armé les nerfs solides une tête sur les épaules le cœur serré comme on dit la voix blanche prends soin de toi

Hélène Monette

 

Publié dans Poésie du monde

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