Mordre dans la pomme

Publié le par la freniere

Ça sent le printemps. Le mercure grimpe dans les arbres, les bras secs des épouvantails, les nervures de la pierre, les planches grises des granges. Un oiseau frappe à la fenêtre. Les blessures des érables se remettent à saigner. Les abeilles s’agitent. Les fourmis se remettent à l’ouvrage. Quelques mots suffisent, une embellie, un soupçon de chaleur, une phrase en bedaine, un paragraphe sans parka, pour retrouver l’été au milieu de la neige. Il suffit de suggérer la cèpe, la girolle, un frisson d’herbe verte, la transparence des libellules, de mordre dans la pomme. Trop vite cependant la neige remet ses flocons sur les i, sa tuque sur la tête des arbres, ses mitaines aux gouttières. La langue du froid efface les lambeaux d’encre verte. Les yeux du vent brillent de givre. Ce que l’on dit avec les mots n’est jamais tout à fait ce que l’on dit avec le corps. Il y a un décalage entre le dire et le faire, le rêve et le réel, le sol et l’absence de sol. Il faut un surplus d’âme pour que l’encre s’incarne. Dans l’harmonie de la nature, il n’y a pas vraiment de manque. Les feuilles soustraites à l’arbre s’ajoutent à l’ordre végétal. Les éclairs transperçant les nuages sont un saignement de ouate. L’herbe se perd dans la neige sans qu’elle perde la vie. Les ronces montent en épingle la saveur des mûres.

 

Jean-Marc La Frenière

Publié dans Prose

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