Il voulait devenir un saint
Enfant, il voulait devenir un saint. Il est devenu poète. Il y a 20 ans, le 18 octobre 1995, Gilbert Langevin s’éteignait après avoir écrit, et chanté, de « sa voix remplie d’amertume, de complaintes et d’infortunes ». Il a signé une trentaine de recueils de poèmes et de chansons, certaines ayant été portées par les plus grands noms de la chanson québécoise, de Pauline Julien à Marjo. Il a laissé derrière lui une vie pleine de mots. Érudit sans le sou, vivant à Montréal entre ciel et terre, comme une feuille au vent, il a dit la détresse et le consumérisme, il a dit le pays qui flanche et l’amour qui dérange, il a dit aussi l’amitié et la fraternité. « Cette voix que j’ai, cette voix je vous la donne, c’est tout ce que j’ai. »
Vingt ans après sa mort, la voix claire et le piano léger de France Bernard redonnent souffle à une vingtaine des textes de Langevin, le 7 octobre, au Festival international de poésie de Trois-Rivières, qui débute ce vendredi. La plupart de ces textes n’avaient jamais été mis en musique. Un disque, attendu fin octobre, en reprendra 12. Les textes de Langevin, du plus innocent au plus terrible, y voyagent sur les mélodies de France Bernard, qui est aussi la conjointe du neveu du poète. « J’y suis allée intuitivement », dit-elle. « Gilbert Langevin n’était pas dans la vie matérielle. Il vivait de ses mots. Mais il a probablement souffert du manque de reconnaissance. » Or, le jour du spectacle, au festival, hommage sera rendu au poète par des personnages qui l’ont aimé ou connu : son frère, le sculpteur Roger Langevin, l’éditeur et président du festival Gaston Bellemare et l’ancienne directrice du Devoir Lise Bissonnette.
« Gilbert était un fou de littérature », dit, joint au téléphone, Roger Langevin.
Né, comme France Bernard, au Lac-Saint-Jean, plus particulièrement dans le village de La Doré, Gilbert Langevin a fait son cours classique à Sainte-Anne-de-Beaupré, puis à Montréal. Jeune, il avait tendance au mysticisme, raconte son frère. « Il voulait être un saint », dit-il, et regrettait parfois, même enfant, de ne pas être déjà mort. Puis il a complètement délaissé la religion après avoir réalisé qu’elle était elle aussi menée par des intérêts matérialistes.
« Il n’a pas accepté qu’on lui défende de lire Sartre ou Camus », rappelle Roger Langevin.
Ce sont donc les mots qui ont meublé sa vie, des mots qu’il griffonnait sur des coins de table, sur des serviettes de papier, dans le Plateau-Mont-Royal, rue Saint-Denis ou au parc Lafontaine. Des mots qui devenaient des livres et des chansons.
« Le seul emploi qu’il ait eu était à l’ancienne Bibliothèque nationale, qui était alors la bibliothèque Saint-Sulpice. Là, il passait ses journées à lire. Il a énormément lu. Il était très érudit. Il avait aussi une mémoire phénoménale et pouvait donc se souvenir de passages entiers de livres. »
À 18 ans, Gilbert Langevin vient à Montréal pour rencontrer Gaston Miron, qui le convainc d’abandonner les structures poétiques figées en vers, en pieds et en alexandrins. « De toute façon, il n’était pas très porté sur la structure. À partir de ce moment-là, il n’a plus écrit de vers classiques, sauf lorsqu’il écrivait des chansons », poursuit Roger Langevin.
Ces chansons lui permettaient de passer ses messages plus simplement qu’avec la poésie et aussi, à l’occasion, de rencontrer de plus grands auditoires.
Une sculpture
Gilbert Langevin était un oiseau de nuit alors que son frère aimait le jour. Il aimait la ville, alors que son frère aimait la campagne. « Pourtant, nous étions un peu comme des jumeaux, se souvient Roger Langevin. J’essayais de le ramener dans le monde réel. » Durant le festival, une sculpture du poète moulée par son frère Roger sera exposée à la maison de la culture de Trois-Rivières. Le sculpteur a mis des années avant d’arriver à réaliser cette oeuvre. Il a finalement choisi de le présenter assis, « un peu croche ». « Ça n’est pas nous qui le regardons, mais lui qui nous regarde », dit-il.
Souffrant de maladie bipolaire à partir de l’âge de 40 ans, Gilbert a connu des périodes d’itinérance, exagérées dans les médias, selon son frère. « Lorsque je lui demandais où il habitait, il disait qu’il habitait à l’arbre numéro 13, au parc Lafontaine. » Il écrivait aussi sous différents pseudonymes, celui de Carmen Avril lorsqu’il dévoilait son côté plus féminin, mais aussi celui de Régis Auger ou de Zéro Dégel. Durant la Crise d’octobre, il avait répondu à une journaliste lui demandant comment il envisageait l’avenir : « Je m’attends au pire, mais j’espère Lemieux » faisant référence à l’avocat des felquistes, Robert Lemieux. « Il parlait aussi de la souffrance du Québec, qu’il décrivait comme une Sous-France », se souvient son frère. La chanson Marie-France, que chante France Bernard, en témoigne. « Tout est en pann’ dans ce pays / qui se défait qui se défrance / le pir’ des fruits de la souffrance, c’est d’avoir mal de vivre ici. »
Après son séjour à Trois-Rivières, la sculpture de Gilbert Langevin pourrait connaître un avenir à Montréal, pour autant qu’on lui trouve une place. Le Plateau-Mont-Royal, cher à Gilbert Langevin, ou le parc Lafontaine seraient des endroits tous désignés.« J’aimerais l’intégrer dans un circuit où il y aurait des sculptures d’autres poètes », dit Roger Langevin.
Pour sa 31e édition, qui se déploie du 2 au 11 octobre 2015, le Festival international de Trois-Rivières reçoit une centaine de poètes de différents pays du monde, du Congo au Danemark en passant par l’Argentine, qu’on pourra écouter, rencontrer et découvrir dans 40 lieux de la ville. Des lectures, mais aussi des expositions, des spectacles, notamment S’agripper aux fleurs, un collectif innu, des ateliers et des remises de prix animeront la ville à l’occasion de ce rendez-vous.
Et les éditions des Forges font paraître Les joyaux de la colère, un recueil des sept livres que Langevin a précédemment fait paraître dans cette maison d’édition.
C. Montepetit Le Devoir