Traverser la pluie

Publié le par la freniere

La pluie tombe tranquillement sur les briques d'Albi. Je tue le temps entre deux rencontres dans ma chambre d'hôtel, devant un douteux reportage télé qui raconte l'obsession d'une dame pour retrouver son yorkshire et l'obsession d'une autre à ne pas vomir. La première passe ses journées dans sa voiture à scruter avec des jumelles tous les caniches qui passent. La peur d'être malade rend malade la seconde. Je coupe rapidement le son et regarde la pluie ronronner dans le ciel gris. Aujourd'hui j'ai rencontré des lycéens et des professeurs qui m'ont invité pour partager quelques poèmes. J'ai fait sept heures et demi de train pour partager quelques poèmes. Je suis seul maintenant dans cette chambre d'hôtel et c'est comme si la pluie réduisait toutes les distances. Entre moi et eux. Entre moi et les miens. Entre moi et les autres. Les humains sont prêts à tout pour se sentir un petit peu moins irrémédiablement seuls. Prêts à chercher sans fin un caniche perdu. Prêts à se rendre malade de tout même d'une idée. Prêts à traverser le pays. Prêts à traverser la pluie pour partager un poème. Les journées de train et d'hôtel ne me dérangent pas. Elles me permettent de mieux retrouver ceux que j'aime quand je rentre. Des élèves m'accueillent et m'écoutent avec curiosité. Des professeurs m'invitent et transmettent mes textes avec bienveillance. La poésie m'a sauvé la vie. Elle accompagne mes peurs, mes manques et mes doutes. Elle tient ma solitude par la main. Elle m'a donné une raison valable de traverser la pluie. Le temps de gribouiller ce texte, la jeune fille aux tocs du reportage se torture pour ne pas replier complêtement le rideau de douche, et la dame consulte une voyante pour son yorkshire. Je n'ai pas envie de me moquer d'elles. Nous sommes ces petites bêtes tragiquement grotesques. Nous luttons, toutes et tous, avec nos grigris dérisoires. Notre insignifiante magie. Nous luttons. Nous nous mouillons. Et parfois d'un petit coup de langue nous gouttons la pluie. Et parfois c'est bon.

(dans une chambre d'hôtel d'Albi le 7 mars 2017)

 

Thomas Vinau

Publié dans Poésie du monde

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