Un buveur de lumière
« Le monde est un lavis
que l'évidence outrage
demeure où tu ne vis
qu'entre l'ombre et l'orage »
Jean-Claude Pirotte écrit des poèmes en verre, en petits éclats de verre cassé, en rimes de rien, en brumes fines, en mots perdus. Des lettres, des boléros, des sonnets, des voyages, la musique de ses mots est intemporelle parce qu'elle n'essaie pas d'être de son époque. Il est à la fois Villon, Chardonne et Dhôtel. Il est Perros, Joubert et Verlaine. Le chanteur de rue du camp des gueux et des proscrits.
« Nous qui sommes bannis sur terre
nous composerons les paroles
qui consolent les apatrides
sur la planète des Atrides »
Jean-Claude Pirotte écrit le ventre mouillé des forêts d'Ardenne, les nuits infinies dans les ruelles de Namur, le parfum lourd des caves, le vin des paysages, l'arôme de l'amour perdu, l'encre de la nuit et l'aube toujours qui revient.
« J'ai beau parler bien bas, je tombe toujours de haut. »
Jean-Claude Pirotte célèbre tous les terriers, tous les refuges, les chemins de traverse, les fuites dignes, les exils réfractaires, les chiens errants, l'asile des livres qui nous sauvent, la patrie des arts et du vin. Les routes que l'on prend à la fois pour se perdre et pour se retrouver.
« Il fallait que je naisse en cavale aussi, dans la solitude étrangleuse et la misère éblouie. Pourvu que je me souvienne, je pressens bien d'autres naissances, après d'étranges agonies. »
On se retrouve dans ses poèmes et on se perd dans ses romans, on joue à se perdre, ensemble, car tout est prétexte à atteindre demain en se racontant des histoires. Comme chaque enfant de La Vallée de misère, il sait bien, nous savons bien avec lui, que ce ne sont que des histoires. Il sait bien, nous savons bien avec lui que malgré tout, ces histoires nous sauvent un peu.
Dans Récits incertains, il note : « Les romanciers authentiques ne mentent jamais. Je ne suis pas romancier. Je préfère raconter des histoires, des fables qui me seraient dictées par les nuits, dont la brume lâche enveloppe des terroirs indécis, quand le fleuve reflète, au sortir du bistro, le même néon, répété mille fois, et qui tremble comme mon regard. Des paquets d'ombre se détachent d'un firmament blessé, peut-être est-ce une montagne, peut-être une menace portée par les tombereaux cahotants de l'ivresse. »
Il écrit des lettres sans destinataires comme son double Ange Vincent, le voyou perdu. Il est le pauvre Kaspar Hauser toujours un peu orphelin de lui même. Il est le peintre des couleurs qui disparaissent, le rapiéceur de souvenirs.
« C’est que j’avais encore envie de vivre, et de voir passer les nuages, et d’écrire ceci, ou autre chose. Il arrive que la douleur soit en voie d’excéder mes forces. Mais je m’obstine, je tiens la fenêtre ouverte, au moins je respire et un chien aboie. »
Il est de partout et il n'est personne, celui qui part en dernier du bar, la bougie qui écrit dans la nuit, qui demande pardon et qui clame tant pis. Remontez son Promenoir magique, écoutez son fantôme, un ami dans le noir qui sait bien que « les chemins ne vont nulle part » sans pour autant renoncer à vous tenir la main.
« Je ne connais ni les oiseaux
ni les fleurs ni les arbres
je me connais encore moins
je me cherche dans les décombres
et je me perds dans les chemins
où je ne croise que les ombres »
Même lorsqu'il titube, ou que ses mots vacillent, Jean-Claude Pirotte tient tête - à l'injustice, à la douleur, à l'oubli. Il nous fait rire et il nous fait pleurer. Alors même le silence se tait.
« Il n'est donc pas impossible de s'inventer un grand-père, une maison dans les vignes, un horizon de montagne. Vous savez, quand on y pense, rien n'est impossible. C'est ainsi que nous arrivons à vivre. »