Pour échapper à l'hébétude

Publié le par la freniere

Pour échapper à l'hébétude ambiante, je rêve d'un grand lit où repoussent les feuilles, les bourgeons et les fruits, d'un lieu où les prèles arborescentes colonisent les choses, les immeubles et les meubles, où les abeilles essaiment dans les banques, de lierre s'enroulant aux rampes d'escalier, de ginkgos remplaçant les poteaux. Il a neigé cette nuit. En octobre, l'hiver pointe son nez et repart aussitôt, laissant pour quelques heures une blancheur éphémère, une gaze paresseuse flottant sur les hameaux. Les arbres chichiteux n'ont déjà plus de feuilles. La rosée mouille les nids secs. Les maisons fument déjà dans leur jupe de bois, la pipe sur le toit et les yeux enneigés. Il me revient alors des souvenirs d'enfance. Il n'y a pas que Rome qui possède sept collines. Le Saint-Hilaire aussi. Elles s'accotent l'une sur l'autre autour du lac Hertel. J'y passais mes journées. Le paysage du village décourage les yeux. Tout a l'air pas vrai. Il est difficile d'éviter les sirènes commerciales, les couacs télévisés, les grondements des moteurs, les mensonges politiques. Dans cet univers de poupées gâtées rien n'est fait pour les pauvres. Le monde courbe l'échine. Chacun navigue sur un écran. Où l'on bredouille des textos, je goualante à pleine gueule. Quelques notes de blues, quelques mots d'une chanson mènent plus loin que les dernières nouvelles. Je marche sur la terre, les pieds appuyés sur ses épaules de pierre. J'ai besoin de marcher, d'aller dans la montagne errer sans but. Il y a dans la forêt une sorte d'apaisement. C'est comme un coin d'enfance. Les saisons y survivent aux raisons. Si je n'ai pas d'I-pad, c'est pour écouter la pluie faire chanter les roseaux, le babillage des oiseaux, le ruissellement des eaux, les fleurs qui pétalent sur le vélo du vent, les guêpes piquant l'azur, les bêtes, les insectes, les nuages méditant dans la pensée du ciel. Je suis pour le soleil, l'eau sauvage, les ronces, le souffle court d'une musique à bouche. J'ai grandi près des murs pour mieux m'en éloigner. Je ne suis jamais là où les autres s'assemblent. J'aurai passé ma vie à faire les cent pas, les portes qui s'ouvraient ne m'offrant que l'ennui.

Jean-Marc La Frenière

 

Publié dans Prose

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