Une raison de vivre

Publié le par la freniere

Nous faudra-t-il inventer une raison de vivre pour contrer l’économie ? On n’a pas vu mes larmes. On n’a pas vu mon sang. La vie commence avec un capital d’illusions, avec la mort en supplément. Dans l’oppression de ma poitrine, un air d’ocarina (mon père en jouait entre deux raids aériens), de flûte à bec ou de gazou, colmate mes poumons déchirés. Avec le temps, la mémoire se vide. Je dois mouiller la boue entre les parenthèses. Chaque matin, je dois recommencer, mais ni le crayon ni la pelle ne suffisent. La mémoire s’écroule. C’est mot à mot que j’entasse les briques. Pourtant, je suis vivant. J’aime et je parle. Je surveille les arbres jusqu’à la floraison. Je me perds en moi où je longe un abîme. Mon pied retient ses pas au bord de la falaise. Il faudra bien un jour effacer le passé pour faire place au présent. Nulle métaphore, pourtant, n’efface les sanies ni l’hernie de la chair, le sang, la salive et l’urine. Je suis l’idiot penché sur un arbre abattu, le fou qui parle seul et l’enfant qui dérange. Je m’émerveille encore des tapis de verdure. Parmi tant de brins d’herbe nul brin n’est pareil. Quand on dit l’homme, on doit revoir son enfance, déshabiller le temps des loques du présent. On me refuse à boire. On impose à ma soif toute une pharmacopée. Je me souviens encore du ventre de ma mère. Malgré la cendre et la poussière, le sang fait des projets. Je ne veux pas mourir à genoux, mais dans les bras de l’amour. Qu’on me brûle plus tard avec mes vieux brouillons et tous mes invendus. L’ici-bas et l’ailleurs soufflerons sur les braises. Pour tous les Indiens morts, je partirai en signes de fumée. Je serai ce présent qu’on conjugue au futur. Je veux mourir d’espérance.

 

Jean-Marc La Frenière

Publié dans Prose

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