Le temps des grands ménages
Tu plantes tes grosses bottes
asphaltées de dettes
dans la glace fissurée du devoir
comme dans la gadoue du déni
et tu cherches tant bien que mal
à te tenir droit
dans l'effritement du courage
avec comme seule arme à la main
un balai;
une arme hirsute
pour une lutte échevelée.
Tu fais des petits tas bien compacts
de poussière d'espoirs élimés
que tu regardes s'éparpiller
au gré des vents contraires
pénétrant dans tes rêves asphyxiés
par les échancrures du doute.
Tu portes l'héroïsme en berne
comme un souffle au coeur
et les cris que tu pousses
dans la nuit des blizzards
reviennent hanter les échos
de tes colères rabougries.
Vient alors le temps des grands ménages.
Tu laisses dès lors la peur ventriloquer
dans les viscères des bancs de neige
et tu sonnes le tocsin
aux clochers des printemps
pour rameuter les buveurs de sève
sur les parvis de la relance.
Vous briserez les genoux
des subterfuges en boîtes
et percerez la panse
aux dévideurs de finasseries.
Vous n'accepterez plus
ni la feinte ni la fuite.
Toute pensée moribonde sera recrachée
et vous laisserez à la terre retournée
le soin de digérer la honte
pour engraisser des tournesols.
Tu en appelles à tous les tappeux d'trails
et à toutes les batteuses de lin,
aux Johnny Pépin-de-pomme
et aux Marie Quat'poches,
aux troubadours de légendes
et aux tisserandes de lumière.
Il vous appartient d'aller chercher
l'humus de la mémoire longue
sous les tapis d'épinettes
et dans les débris encore chauds
des fours à pain en argile.
Tu feras du bouturage
à t'en casser les doigts,
mais ne t'en fais pas:
ton peuple compte son âge
sur le bout de ses hivers.
Jean-François Carrier