L'anthrope

Publié le par la freniere

Si les oiseaux ne chantaient pas, les hommes chanteraient-ils? Si les pierres n’avaient pas de couleurs,  les hommes peindraient-ils? Si les feuilles ne bougeaient pas, les hommes danseraient-ils? La nature nous apprend tout de la vie. Dix ou quinze milliards d’années nous séparent du Bang originel. La terre est un fœtus dans l’utérus des galaxies. Nous venons de plus loin que les mots. La musique donne chair à l’inaudible. L’écriture inventorie l’indicible. Les images, les traits, les lignes, les signes et les outils mentaux dessinent l’invisible. Les mythes et les théologies enseignent l’infini. Les horloges pointeuses emprisonnent le temps. Le temps perdu donne sa liberté aux heures. Les mots qu’on encage dans le blanc des pages restent libres. Les mots sont compatibles avec l’ombre ou la lumière, la naissance et la mort, la mémoire et la mer. Si chaque village est relié par la télévision, la radio et les portables, la nature l’est par le crissement des insectes, le chant des oiseaux, le braiement des bêtes, le murmure végétal des plantes, des ouaouarons, des hommes et le silence des pulsars. On peut voir l’invisible par l’odeur, entendre l’indicible par l’oreille. La musique remplace la syntaxe. Les pages portent les mots comme les portées les notes. Les mots s’agencent avec le temps. D’un petit creux à l’estomac, j’écris le mot pain. Le langage évolue, des strates du  passé au dilatement du temps, du balbutiement aux codes grammaticaux, de l’oubli à la mémoire, de l’éphémère au durable. J’ai beau être en révolte, en maudit, en colère, anarchiste, je suis un pacifiste. Je n’ai pas d’arme de poing, mais un stylo à bille. Je préfère la craie à la poudre à fusil, la poudre de perlimpinpin à la poudre qu’on sniffe, la pompe à vélo à la pompe à essence, le papier d’Arménie au bois dur des matraques, la prière des insectes aux sourates djihadistes. L’information nous rend témoins des exactions du monde. Elle nous rend complices de ne pas réagir. Nous devenons les spectateurs passifs de l’horreur. Je viens de l’eau et des quasars. Je vais où vont les arbres et les étoiles. Y a-t-il un visage dont nous serions le masque, un lieu d’où provient l’anthrope ?

 

Nous portons tous en nous une mémoire lémurienne, animale, un prognathisme d’origine. Notre passé se mêle au futur dans une vision d’infini. Il y a du mufle au faciès, du simiesque à l’anthrope, du singe à l’ange, une matière brute façonnée par le temps, une énergie spirituelle. Malheureusement, les cosmétiques effacent l’histoire cosmique du visage. Nous sommes des cœlacanthes, une ouïe dans la préhistoire et l’autre dans le présent. Leurs pédoncules sont les ancêtres de nos mains. Les mots compensent la promesse génétique du corps. Nous avons des milliards de cellules pour agiter deux mains, des millions de neurones pour marcher, des milliers de globules, des centaines d’organes. Notre cerveau est devenu parlant quand le quadrupède est devenu bipède. La dextérité des mains a rendu l’homme intelligent. Elle a rendu possible la caresse, même si les ongles servent encore à griffer. Les mains sont une ruche pour un essaim de gestes. Elles peuvent mimer, danser, parler et manier des outils. Un doigt peut servir à écrire sur la buée des vitres, un jet d’urine dessiner sur la neige. Avec cinq doigts, tout est possible. Il faut greffer du rêve sur la réalité. C’est pourquoi je butine des fleurs de rhétorique dans un champ lexical. J’ai fait de mes doigts des crayons. Cinquante ans d’écriture, sans concession sans argent, sans compromis sans gloire. Des semaines de cent ans. L’enfant porte au sommet du crâne la fontanelle du futur. Les tortues la portent sur la carapace. Je porte sur la page la fontanelle de l’écriture. La solitude est un outil de connaissance. Elle permet de créer, de lire, de sculpter, de dessiner, d’écrire, de chercher l’absolu. Dans ce siècle passionné de vitesse, il revenir à la lenteur, la marche à pied, la ballade. L’homme est conçu pour la marche. Ne pas marcher, c’est contredire l’anatomie. Moins on fait de pas, plus le cerveau s’atrophie. Chaque lieu possède une conscience. On marche pour y accéder.

 

Même les citadins peuvent battre la campagne. Les paysages nous apprennent à voir. Ils permettent la qualité du regard et dessille les yeux. Les années déterminent le temps. Les pas transforment la route. Les yeux ne savent plus où donner du regard. Les  mains se remplissent de gestes. On voyage pour se quitter et mieux se retrouver. Toute réalité se double d’une vie imaginaire.

 

Jean-Marc La Frenière

 

 

 

 

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