Quelques instants

Publié le par la freniere

Ce matin, je dois donner du sang, prêter mon corps pour analyse. Ce n’est qu’une mauvaise passe. Il n’y a pas de pansement pour les âmes qui saignent. Les dieux ne guérissent pas le cancer. Cependant, quelques hommes peuvent recoudre le cœur et greffer des organes. A l’urgence, ça râle et tousse. Le sérum circule d’une civière à l’autre. Un soluté nourrit les cathéters. Des machines offrent les mêmes biscuits, les mêmes liqueurs, les mêmes bonbons. Partout dans les corridors, affalés sur des chaises en plastique, la plupart des patients tremblent. Leurs mains se crispent dans le dos. La maladie fait peur. La plupart des hommes meurent en oubliant de vivre. Ils ont l’âme habillée de faux espoirs, les regards fatigués. L’air est pesant. Les patients végètent. Les femmes partagent leurs expériences et leurs bobos entre deux recettes de cuisine. L’angoisse est comme une boule dans l’estomac, un pain trop lourd qu’on avale de travers. Il y a déjà un décès dans la salle des urgences. Les morts n’ont pas de religion. Une hostie brille dans la main du prêtre. Je ne crois pas en Dieu, mais je prie quand même. Quelque fois une porte s’ouvre dans l’homme. Elle donne sur le ciel. Certains aiment flirter avec la fin du monde. On les reconnaît à leurs yeux ahuris. Ils vivent au ralenti. Le bruit des ambulances les rassure. Un ivrogne interpelle tout le monde comme s'il les connaissait. Il n’y a pas de place pour pleurer seul. Tous entament une discussion minimale, désespérée ou pas. Il est dix heures du soir. Pour certains, ce n’est qu’un au revoir. Dans une vie à sens unique, on se méfie de ceux qui sont seuls et des joueurs de tours. Je cherche avec qui recharger mes batteries. Les bruits de la forêt nous éloignent de la mort. Ici, le moindre gémissement nous rapproche de la tombe. Blessés, couchés sur une civière, les amoureux continuent d’éclairer. Même leur ombre clignote. Ils ne croient pas à la mort. Ils n’ont peur que d’être séparés quelques instants.

Jean-Marc La Frenière

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article