D'un lieu a l'autre

Publié le par la freniere

Je m’éveille au matin le nerf sciatique prêt à mordre, mes cotes endolories. Mes cauchemars ont les dents longues et ma langue est pendante. Mon tas d’os et de chair inerte, les médecins l’ont remis à neuf, retrouvé l’eau au fond du puits, la semence dans les champs. Il y a encore des idées qui campent dans mon cerveau, venues des livres ou d’ailleurs. La course vers le rien me débarrasse d’une crasse futile. Aux funérailles de mon père, la légion d’honneur a eu le culot de s’inviter. Plus moyen de respecter les morts sans un fusil ou un crucifix trempés dans l’eau bénite. Plus moyen de pleurer en silence. Je souhaite qu’on m’enterre en dansant, au son de l’harmonica ou de l’ocarina. J’ai retrouvé le sien parmi ses souvenirs.

J’ai beau m’enfoncer plus profond dans mon lit, je remonte la pente. Mes ressorts cérébraux se raidissent. Tant que le squelette tient bon, je lutte contre l’hypocrisie et l’odeur des curés. Le retour du religieux, il faudrait trouver le moyen de s’en débarrasser. Mêlé au capital, il augmente le nombre des victimes et des migrants involontaires. Le tungstène et le carbone s’unissent, mais les chiffres séparent. Les algorithmes littéraires sont pleins de numéros, de lettres, de symboles et de signes. Il faut écrire avec un cerveau blanc et de l’encre sympathique, écrire comme on se crache à la gueule, la bouche pleine de bévues sémantiques et de gras poétique.

Je déménage demain. J’ai tant de livres sur les murs, j’ai peur que la maison s’envole. Je passe du deuxième au premier. Le plancher est plus stable, les tables moins bancales, les étagères plus longues, les bibliothèques plus solides. J’ai mis les livres en boite et enveloppé les phrases dans du mauvais papier. Des pages de cahier recueillent mes angoisses, mes souvenirs, mes vœux. Mes larmes cherchent d’autres yeux. Mes mains s’inventent d’autres gestes. Je voyage pour le seul plaisir d’aller. Je pige sur la table dans un panier de cris, un petit bol de larmes. Je remplis de vie une valise vide. J’ajoute des pas de plus aux souliers des morts. Les mots deviennent des images. Les phrases se transforment en sentiers, les paroles en sourates, les virgules en frontières. La ponctuation ouvre les parenthèses d’un pays. Des phrases s’écrivent d’un lieu à l’autre.

Jean-Marc La Frenière

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