En chaise roulante

Publié le par la freniere

Assis dans une chaise roulante ou couché sur un lit d'emprunt, en jaquette à pois mal attachée, je réveillerai les morts qui hantent l'hôpital. Des vieux surissent sous leurs pansements. Des amputés cherchent leur jambe. Des éclopés crient au secours. Des infirmières sonnent l'alarme. Elles préparent des transfusions de cendre pour les feux mal éteints. De vieilles édentées font des prières sans parole. Le silence marmonne. Un jour malade se lève sur l'éclat des seringues. Des têtes pourrissantes se quêtent un oreiller. Des grabataires se croisent sur un chemin de croix. Ils essaient de manger avec leurs poings coupés. L'équipe de nuit distribue des pilules. Au bout de chaque mort, j'ai tracé une route. On se tourne toujours du côté où mourir. On vole jusqu'aux os à la morgue des jours. Les continents dérivent et des morceaux du monde divaguent sans raison. On crève de tumeurs sur la blancheur des draps. Des culs-de-jatte en transe échangent leurs béquilles. Le sang des trépanés continue de couler sur la chair des poumons rongés par le cancer. On greffe des vagins aux grandes folles sans sexe. Des ombres s'anémient dans l'éther des couloirs. Des infirmières noires caressent des moignons. Des  malades à genoux désespèrent un peu plus. On muselle la folie avec des sangles et des pilules, des camisoles de force et des électrochocs. Bercer des enfants morts ne console de rien. Mille croix de bois blanc n'empêchent pas la guerre. Cloué au bois dont on fait les potences,  je couche dans mes yeux pour préserver le rêve et pour ne pas finir en tas de vomissures. Qu'on me sorte d'ici. J'ai peur de crever seul sur un lit d'hôpital au milieu des abcès et des crachats de sang. Une entaille à la jambe et le foie cirrhosé, au lieu d'être un malade enfermé dans sa tête, voici que je recule les murs de mon corps, que j'accorde mon cœur aux guitares tziganes, que je souffle la braise dans l'âtre mal éteint.

 

Avec le temps, le cerveau n'est plus qu'une éponge desséchée. Celui de l'enfant absorbe l'eau du monde avec avidité. Personne n'est seul à être seul. Une foule d'esseulés s'agglutinent à la vie comme un essaim d'abeilles. Ceux qui ont peur du rêve vont mourir d'ennui. Tant de blessures racontent l'homme, tant de mots, tant de cris, de cicatrices et de malheurs. L'orgueil est à genoux sur un tapis de prière en attente de vierges ou d'une rédemption. Chaque jour est un barreau de plus à la grille de vivre. J'y glisse ma présence avec un bruit de fuite. J'entends la vie autour de moi gratter la terre avec ses doigts. Quel été réveillera les oiseaux morts sous la neige? Quel fouillis cellulaire engendrera l'espoir? Une fleur se dessine sur les blessures d'enfance. Que diront-ils les hommes cloués au même néant? Que fuiront-ils les hommes cachés dans un trou d'ombre? Que diront-ils les mots arrachés au silence? Toutes les rivières jaillissent après la source. Chaque route est composée de pas.

 

On ne peut pas défaire les nœuds du bois, les niellures incrustées dans la pierre, le silence des criquets durant les mois d'hiver, l'immense peine des hommes. Point d'orgue, point de presse, point de vue, poings fermés, point d'union, trop de polices, de lapalissades et de passes croches, trop d'enfants s'ennuyant à l'école et rejoignant les gangs de rue, les motards ou l'armée, pas assez d'hommes penchés sur l'infini. Dans l'accolade avec le monde, les mains se touchent comme un verdict rendu par le corps. L'homme ne voit jamais son  ombre, mais celle du voisin. L'homme sous le masque de ses rides cache toujours une tête de mort, des os, des nerfs et quelques larmes. Toute chose a la couleur qu'on lui donne.

 


Jean-Marc La Frenière

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