Tel un phénix humain
Certains hommes, on dirait qu'ils se sont écrits avant d'exister. Je ne suis pas ceux-là. Pauvre pantin fragile, j'ai mal à mes fils. Il ne s'agit pas d'écrire ou de ne pas écrire, il s'agit d'avancer, pieds nus ou en bottes de sept lieues, à grandes enjambées ou petits pas à pas. La réussite ne m'intéresse pas. Tout ce que l'on peut faire, on peut aussi refuser de le faire. Je laisse les prix à ceux qui se vendent. Je ne promène pas mon cul de colloques en coliques. Je l'offre à ceux qui veulent m'aimer. Penché au bord du jour, je m'accroche à la tige d'une fleur, à la douceur d'un pétale, à la patte d'un oiseau, au nom de chaque chose, à l'acupuncture du jazz, au blues noir d’Ouagadougou jusqu'aux paroles rauques et drôles des slameurs d'aujourd'hui, aux sonates de Bach et de Bartók jusqu'à la poésie des punks en play-back.
La terre se fissure. La ligne entre les points de suture forme une plaie béante. Prisonniers du crédit, il y en a trop qui doivent remplacer le rêve par la nécessité de survivre. Malgré le smog, les ravages de l'industrie et ses montagnes de ferraille et d'ordures, la peur des attentats, le désespoir au ventre, j'attends la Fée Clochette et sa baguette d'espoir. Faut-il être naïf! Pourtant, c'est cette oreille d'enfant qui sauvera le monde. Il ne suffit plus de blasphémer et de grincer des dents, il faut rêver les yeux ouverts. Il faut construire sans cesse des châteaux en Espagne, trouver dans les déchets, les ditches s'il le faut, les pièces qui manquent dans le puzzle du monde, les morceaux tachés d'encre d'un buvard déchiré. Je prends feu quelque fois au milieu de ma chambre. Je renaîtrai peut-être dans la cendre des mots tel un phénix humain.
Jean-Marc La Frenière