Je voudrais que ma plume
Je voudrais que ma plume, cette crève misère
Avec l'apesanteur des cris de la tendresse
Monte puiser son encre dans le cœur du céleste
Afin qu'elle désaltère le sable du désert.
Qu'elle crève les bulles vides des humains trop diserts
Qu'elle trace à' horizon où s'étend le soleil
Le rayon vert ténu qui, baillant aux corneilles,
Laisserait s'envoler une nuées d'abeilles
Qui iraient bombiller afin que Dieu s'éveille
Et leur offre en cadeau le pollen .de vie
Leur permettant enfin de recréer toujours.
Je voudrais que ma plume en griffant les nuages
Les amène à pleurer cette pluie qui abreuve
Les déserts asséchés par un trop long veuvage
Je voudrais que ma plume me prenne sous ses ailes
M’emmenant découvrir ce qu'est l'incorporel.
Qu'elle m’apprenne à croiser sur la chaîne et la trame
Les fils qui serviront à la tissure des jours.
Qu'elle mette des couleurs aux tableaux de Soulage
Ou écrive un poème pour célébrer ce noir
Beaucoup plus lumineux que blanc de Malévitch.
Je voudrais que ma plume laisse quelques traînées
sur un miroir liquide qu'elle ne peut traverser.
Qu'elle redonne aux fuseaux l'heure de la liberté.
Qu'elle laisse le présent pour s'enfuir vers ses rêves
Abandonnant au temps les oublis et outrages
Tous les je t'aime un peu et tous les faux serments.
Qu'elle mélange silence et mots de l'alphabet
qu'elle enlève aux enfants tout ce qui les endêve.
Qu'elle tisse une écharpe pour les flocons de neige.
Qu'elle ramasse les feuilles de l'arbre aux mille écus
Distribuant ces écus au plus déshérités
Qu'elle dessine des trains qui sauraient s'envoler,
Abandonnant les rails pour découvrir les cieux.
Je voudrais que ma plume en griffant l'océan
Puisse entraîner la vague au fin fond des abysses
Prouvant aux poissons ogres que tout est éphémère.
Je voudrais que ma plume joue à ces profondeurs
Avec l' éponge-lyre pour chanter le bonheur .
Je voudrais que ma plume m'aide à tourner la page
Après que j'ai relu mainte fois mon passé
sans un saute-passage.
® Yvi Martin