La leçon de choses

Publié le par la freniere

Avant d’apprendre à lire, j’ai appris de la nature, le coucher du soleil et le lever de la lune, les fleurs qui éclosent,  les plantes qui s’enracinent, les bêtes qui enfantent, les hortensias, les soucis, les pensées, les brûlures à la main, les piqures de guêpe, les épines qui piquent, le fumier des vaches et le fumet des mets. Je cherche ce qu’il me faut écrire entre les années blanches des parenthèses, les idées noires et les coups de soleil, l’humidité de la cave et la poussière du grenier, les traces de pas sur le palier et les ornières de la route. Chez les cultivateurs, du pis des vaches aux quotas de lait, ce sont les dettes qui s’accumulent. Souvent ils se suicident avec l’orgueil de ceux qui croyaient à l’argent.

Les fourmis disparaissent, les coquelicots, les bleuets. Les coqs bandy n’amusent plus que les parieurs et les saigneurs de chiens. Le pêcheur n’esche plus qu’avec des leurres de plastique achetés chez Wal-Mart. Les poissons attrapent des maladies et goûtent le mercure. Les truites se font rares. Les ruisseaux tirent la langue dans la gueule des collines. Avec mes doigts raidis et mes reins douloureux, j’ai du mal à déplier ma carcasse. Mon corps imite la barcasse enlisée dans la vase. Je cherche en vain des écrevisses et des tortues de terre. Elles étaient si nombreuses du temps de mon enfance.  Les porcs trop nombreux se dévorent entre eux. Le nitrate et le phosphore nourrissent la panse de la terre. Les engrais chimiques, la culture du maïs, l’agriculture à grande échelle appauvrissent le sol. Les œufs des bécassines se noient. Leurs nids sont envahis par le lisier des porcs. Tôt ou tard, la mauvaise graine remplace la semence.

La pluie rejoint la paille mouillée des champs, les rigoles d’urine fuyant sous les fosses à purin. Les insectes se noient dans la nuée des gouttes. La terre a son comptant de sueur et de boue, le ciel ses averses qui n’en finissent plus. Les cuves de la terre n’épongent plus le trop-plein de la pluie. Les leçons de choses m’ont appris à respecter les livres. La flore et la faune m’ont tout appris, de la paresse des iguanes à la course des lièvres, de la patience des racines à l’entêtement des arbres, du vol des oiseaux à l’éclosion d’un œuf. À force de pousser dans une terre stérile, les légumes s’atrophient. Les céréales s’étiolent. Les joues rouges des pommes palissent. Les dollars sont la perte des hommes. S’il y avait un Dieu, c’est au champ que je le fréquenterais et non pas à l’église, mais aujourd’hui que le profit a remplacé l’hostie, toute prière est vaine.

Jean-Marc La Frenière

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