Décès de Rémi Savard
De nombreuses personnalités ainsi que plusieurs membres des Premières Nations ont qualifié de « pionnier » et de « grand homme » l’anthropologue spécialisé en culture orale innue et défenseur des droits autochtones Rémi Savard, décédé vendredi matin.
Âgé de 85 ans, Rémi Savard a rendu l’âme après un long combat contre la maladie d’Alzheimer. « C’est quelqu’un qui avait un coeur d’enfant. Même profondément dans l’alzheimer, c’est les enfants qui le rendaient heureux », relate son fils, Gabriel Léger-Savard.
« Il était engagé dans un corridor absurde, résume pour sa part l’anthropologue et animateur de radio Serge Bouchard, en entrevue au Devoir. C’est tout le grand paradoxe : un grand intellectuel qui perd son cerveau, qui perd la tête. »
Auteur de plusieurs livres, dont La forêt vive et Carcajou à l’aurore du monde, Rémi Savard a été l’un des premiers à faire connaître la culture innue, souligne M. Bouchard. « Il a dit des choses formidables, comme : “on parle toujours des mythes grecs et on ne se rend pas compte qu’il y avait des premiers peuples ici, qu’il y avait des premiers peuples partout à travers le monde qui avaient leur propre Socrate, qui avaient leurs propres penseurs, qui avaient surtout leur propre mythologie” », illustre-t-il, qualifiant son oeuvre de « monumentale ».
L’avocat innu Ken Rock décrit l’anthropologue comme un « grand homme ». « Ça a été un professeur d’université qui a enseigné à plusieurs anthropologues qui sont devenus aujourd’hui des experts dans leur domaine, certainement grâce à des gens comme Rémi Savard », déclare-t-il au bout du fil. « Un anthropologue m’en apprenait plus sur ma culture, sur nos traditions, que mes propres grands-parents », souligne-t-il.
Droits des Autochtones
Pour le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, Rémi Savard était « un véritable allié » de la cause autochtone. « [Il] n’a jamais cherché à imposer ses théories. Il a plutôt fait le choix de s’intégrer au peuple innu, de le comprendre », résume-t-il.
Le chef autochtone souligne la participation de l’anthropologue à différents mouvements de soulèvement. « Rémi Savard était aux premières loges, non seulement comme témoin, mais comme participant », relate-t-il, citant notamment la guerre du saumon au début des années 1980, opposant les peuples de la Côte-Nord au gouvernement provincial concernant les droits de pêche dans les rivières à saumon.
« Il voulait que les Autochtones, particulièrement les Innus, puissent prendre leur place par eux-mêmes », renchérit l’avocat Alain Arsenault, ami de longue date de M. Savard. Avec Ken Rock, il a représenté ce peuple dans le cadre de l’enquête de la commission Roberge, sur la mort de deux Innus en 1977 dans la rivière Moisie. Un dossier dans lequel Rémi Savard s’est impliqué, en ayant « toujours refusé d’avoir un seul dollar », se souvient avec émotion M. Arsenault.
Et même s’il était « profondément » souverainiste, l’anthropologue désirait que l’indépendance du Québec se fasse en collaboration avec les Premières Nations, explique son fils. « Il disait : “On ne peut pas faire un pays sur les cendres d’un autre” », cite-t-il en exemple, ajoutant que son père était quelqu’un qui « aimait profondément les humains ».
Un pas vers la réconciliation
Pour Ghislain Picard, l’héritage que laisse Rémi Savard permettra de continuer le travail de réconciliation avec les peuples autochtones, notamment à travers ses livres. « Ce sont des ouvrages qui représentent une belle richesse, parce que Rémi les a écrits avec ce qu’il a vécu », dit le chef de l’APNQL.
[Rémi Savard] a dit des choses formidables, comme : “on parle toujours des mythes grecs et on ne se rend pas compte qu’il y avait des premiers peuples ici, qu’il y avait des premiers peuples partout à travers le monde qui avaient leur propre Socrate, qui avaient leurs propres penseurs, qui avaient surtout leur propre mythologie”
L’« indignation » que l’anthropologue ressentait quant à la situation des Premières Nations au Canada en inspirera d’autres, croit M. Bouchard. « Malgré la réconciliation, malgré l’information, cette situation perdure et demeure. Et lui, il va nous léguer son indignation face à ça », prédit-il.
Le peuple innu n’est quant à lui pas près d’oublier la longue relation d’amitié qui l’unissait à l’anthropologue. « Au niveau de la nation innue au complet, il nous laisse beaucoup de choses », estime Ken Rock.