Dans ma tête

Publié le par la freniere

Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ? Ça sonne creux ou bien trop lourd. Les neurones s’emballent ou restent cois. Ça fait tilt entre mes deux oreilles. J’ai un flipper dans la tête. Des billes roulent sans arrêt. Des bielles coulent entre les nerfs tordus comme des ressorts. Des idées se déguisent en poèmes. Je mets des affichettes partout dans les trous de mémoire, des rustines sur le cœur, des poumons dans la voix. Je tends de petits bras entre chaque virgule, une main gauche dans la main droite, des pas dans les souliers. Le derrière est devant, tout le reste à l’avenant. Mon cœur cogne avec un sang qui manque. Il saute une marche à chaque soubresaut. Je dois sniffer quelques livres de temps à autre, des lignes noires sur du papier, me rincer l’âme dans une mer verbale, siffler du Bach en travaillant, me beurrer l’œil aux couleurs des peintres, aux doigts des magiciennes qui retissent le monde, aux mains d’argile qui le façonnent d’un peu d’air et d’espoir, toucher le monde avec ma langue et la caresse des mots.

Il n’y a plus d’hommes libres. Il n’y a plus que des marchands. Il n’y a plus que  des acheteurs. Il n’y a plus de place pour le rêve. Le retour du réel se pose toujours en termes économiques. Les rêveurs doivent ruser pour vivre, les enfants devenir des rouages. Tout s’affadit sous le règne du dollar. La liberté n’est plus qu’une marque de commerce, la dignité le nom d’une couche pour vieillards incontinents. Soumis  au capital, les corps se neutralisent dans l’équation des choses. Je ralentis face à la frénésie. Le temps, je le garde en réserve. Ça tient comme ça peut dans ma tête. Une petite lumière tient mon corps allumé, une parole d’enfant, une parole de pauvre perdu dans ce langage économique, à peine un chant appuyé sur l’oreille, une berceuse dans le trafic, un grillon dans la voix. Je ne gagne pas ma vie. Je perds mon temps à nourrir les oiseaux mais j’y gagne le tout. L’amour nous fait passer sur terre autre chose que du temps. L’avant et l’après s’abolissent dans un présent perpétuel. Le doux bruit du feuillage assume le silence. Sans le chant des oiseaux, le langage des mots ne serait qu’un mensonge. Chaque geste posé doit élargir la main comme le soleil agrandit l’horizon.

L’automne a répandu son feuillage futur. J’attends la neige et l’étoffe du givre. L’eau brille sur les vitres dans la grâce du gel. Elle blanchit les arbres et le dos rond des pierres. Ce n’est rien, presque rien, une flamme sans feu, une eau sans soif, une langue sans voix, des mots qui offrent plus que le sens des choses et fécondent dans l’homme la floraison du rêve. Chaque ligne d’un poème cherche son sens comme la main d’un manchot la caresse oubliée, la nudité des choses, l’intimité du geste. À charge aux motsd’amour de gouverner la neige, d’enrayer les fusils, de redresser la tige. Beaucoup plus que la pensée, c’est la salive qui nous sauve du froid. La moindre fleur qui pousse me donne la parole. Le moindre homme debout soulève l’espérance et le pain qu’on partage abolit la monnaie. La sève dans les branches alimente les fruits. Le bol tendu des mains laisse fumer ses gestes. À boire le jus des anges me ferais-je plus léger ? De l’argent en plastique aux seins siliconés, où donc est le progrès ? Je veux bien mordre la pierre, boire le sable, mais que ce soit avec de vraies dents. Avec la mort m’asseye sur la page, là où les mots deviennent les appuis-bras de l’âme. Tout ce qui entre et sort par les deux trous des yeux nous presse et nous contient.

Il y a toujours un ange derrière chaque homme, un bel enfant dans un vieillard, des caresses en attente dans une paume fermée, des pas qui craquent sur le plancher de la vie. Le mot le plus parfait n’a appris qu’à se taire. L’alphabet prend naissance entre les lignes du silence. Les feuilles s’émeuvent sous la pluie. Les pierres résistent jusqu’à fendre, laissant la mousse les envahir. La sève resurgit dans les arbres malades. Les couleurs de l’automne s’abreuvent d’ombre et de soleil. Le poids de la rosée caresse les épines. Les ailes des oiseaux s’aiguisent contre l’air. Malgré les fausses rumeurs et les bulletins de nouvelles, j’essaie de percevoir un cri d’inondation juste avant l’incendie, la voix des grandes eaux sous la glace des chiffres, la tape bleue du ciel sur les replis du corps. De toutes les batailles, je choisis la vie.

Jean-Marc La Frenière

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