Portrait de Colette Peignot

Publié le par la freniere

Portrait de Colette Peignot

Colette Peignot, issue d’une famille bourgeoise et cultivée, est née le 8 octobre 1903 à Meudon. À sa mort, elle laisse derrière elle plusieurs manuscrits poétiques, enflammés et torturés, dont Histoire d'une petite fille, et les Écrits de Laure.
A 13 ans, elle perd son père et ses trois oncles, fauchés par la Première Guerre mondiale, contracte la tuberculose et manque d'en mourir, est victime avec sa sœur de harcèlements sexuels répétés de la part d'un ecclésiastique, et du déni de sa mère bigote rigoriste.
Entrée en rébellion avec sa famille et son milieu, menant une vie de femme libre, elle rencontre en 1925 le journaliste anarchiste Jean Bernier, ami de Drieu et des surréalistes. Leur relation placée d'emblée dans une recherche d'absolu ne dure pas. Enceinte en même temps qu'elle est terrassée par une crise de tuberculose, épuisée, ayant avorté, le 9 janvier 1927, Colette se tire une balle dans la poitrine, mais en réchappe.
Elle suit à Berlin dans un état de réclusion et de soumission totales Eduard Trautner, rencontré au sanatorium de Leysin, médecin, poète et écrivain proche des cercles communistes, ami de Brecht, amateur de Sade et de Sacher-Masoch, dont les fantasmes entrent en résonance avec le nihilisme de sa proie qui finit par s’échapper.
En 1930, ayant appris le russe, dans un élan idéaliste, elle part en Union soviétique pour y partager la vie des moujiks dans un kolkhoze. Elle devient la maîtresse de l’écrivain Boris Pilniak, mais, désargentée, malade, elle doit revenir en France et mène une vie dissolue à Paris, se donnant sans plaisir à des hommes de passage, selon Georges Bataille. Puis elle entretient une relation apaisée mais triste avec Boris Souvarine, l'un des fondateurs du Parti communiste français. Elle adhère et participe activement aux réunions du Cercle communiste démocratique, où elle croise entre autres Simone Weil avec qui elle se lie d'une profonde amitié. Elle sera hospitalisée dans l’établissement du père de la philosophe.
Grâce à l'héritage familial qu'elle peut toucher enfin, elle subventionne abondamment la revue du Cercle, La Critique sociale, et y écrit également plusieurs articles sous le pseudo de Claude Araxe » nom d’un fleuve d’Azerbaïdjan, évoqué par Virgile dans l'Énéide, « torrentiel, qui ne supportait pas qu’on lui imposât un pont pour le franchir ».
En 1936, elle quitte Boris Souvarine pour Georges Bataille chez qui elle s’installe. Leur relation « intense »se révèle destructrice, entre alcoolisme, débauche, mais également mondaine et cultivée (Leiris, Klossowski…), tout autant que folle (la revue Acéphale). Elle choisit pour nom de plume, Laure, l’un de ses prénoms de baptême, mais aussi en référence à Laure de Sade, la muse de Pétrarque et aïeule du « divin marquis ».
La tuberculose l'emporte, indigente et médicamentée, en 1938, à trente-cinq ans, dans une chambre triste et austère. Peu avant de mourir, elle écrit à Bataille (dont elle hantera l'existence cf son essai "Le coupable") : “J’ai haï notre vie, souvent je voulais me sauver, partir seule dans la montagne (c’était sauver ma vie maintenant je le sais).”
Sa tombe au cimetière de Fourqueux est difficile à identifier, surmontée d'un buis taillé en forme de « L ».
Colette Peignot n'a rien publié de son vivant, en dehors de ses écrits engagés ou journalistiques. Son œuvre littéraire est entièrement forgée par Michel Leiris et Georges Bataille. A partir de 1971 et jusqu’à ce jour, ses manuscrits sont régulièrement republiés grâce à la pugnacité de son neveu le romancier Jérôme Peignot.

Jean Azarel

« JE L’AI VUE »

Je l'ai vue - cette fois je l'ai vue
où ? à la limite de l'aube
et de la nuit

l'aube du jardin
la nuit de la chambre

avec un sourire qui craque
une patience d'ange
elle m'attend
Et je le sais bien

....
Je la suivais malgré moi
Dans un froufrou de soie une robe à traîne avec beaucoup de volants qui rebondissaient sur chaque marche.
elle a disparu
brillante bruissante
par un escalier étroit
et délabré

En haut
c'était le rayon d'hommes, des milliers de vêtements
Une pièce toujours fermée, surchauffée
Seule présente vivante :
elle
elle parcourait les espaces vides entre les mannequins
portant tous son masque.
Je l'ai vue

Colette Peignot

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