Je ne pensais pas le dire

Publié le par la freniere

je ne pensais jamais dire ça, mais vu la faiblesse du ministère de la Culture actuellement, et vu la vacuité des «annonces» qui ont été faites par la ministre, on souhaiterait quasiment que la culture soit de compétence fédérale en ce moment...

il est vrai que le gouvernement Legault s'est fait élire pour la business, pour les affaires, en promettant avant tout de rendre le Québec plus riche – plus riche financièrement, s'entend, et non pas plus riche intérieurement ou culturellement

on est beaucoup à penser qu'il faut un revenu minimum universel pour tout le monde, mais parlons d'abord des artistes. les institutions s'effondrent – ça avait commencé bien avant, la pandémie, on le sait, on le dit, est un accélérateur. dans une société fondée sur l'emploi, et sur l'emploi seulement, dans un monde sans possibilité de contribuer (culturellement et aussi, oui, oui, économiquement) en dehors de la religion de l'emploi, les artistes sont naturellement poussés à faire autre chose que ce qu'ils savent faire. est-ce qu'on veut une société où les arts sont un passe-temps, une activité de week-end ou de vacances d'été? on dirait bien que oui

bien sûr, je ne dis pas qu'il faut donner un chèque bien gras à tout citoyen qui se dit artiste parce qu'il aime chanter dans la douche ou faire de l'aquarelle. ce qu'il faut, c'est une reconnaissance du statut d'artiste, un peu comme en Allemagne : si tu es diplômé d'un programme artistique, ou si tu as publié, tenu longtemps un blogue d'écriture, présenté une exposition, etc., tu es artiste, c'est ton statut. en Allemagne, cela signifie que tu as droit à une aide gouvernementale de base sans que l'on attende de toi que tu cherches un emploi ailleurs, puisque tu es artiste, c'est ton domaine, c'est ton métier, c'est ce travail, et ce travail seulement, qu'on attend de toi. pour la reconnaissance du statut, au Québec et au Canada, on pourrait se fonder sur les critères des conseils des arts, peut-être, ou en établir d'autres. et peut-être, aussi, établir une échelle selon les années de pratique réelle

non, il ne s'agit pas de donner 3000 ou 4000 $ par mois à tous les artistes. on parle d'un plancher, 1000 $ à tout le moins, comme Andrew Yang l'avait proposé (en dollars américains...) aux États-Unis. 1500 $, ce serait mieux, et ça permettrait tout juste de ne pas sombrer dans la pauvreté. non que 1500 $ suffisent pour (sur)vivre, mais les artistes sont capables de décrocher des contrats, de recueillir les droits (dérisoires, pour 98 % d'entre eux) sur leurs œuvres, etc. de 1500 $, ils sont capables, par leur art, leur travail, leurs interventions, de faire 2000 $ (l'équivalent de la PCU) et même 2500 $ (et ainsi s'étirer le cou au-dessus de la ligne de la pauvreté)

c'est le genre de mesure que Roosevelt avait fait adopter après la Grande Dépression, et ça avait mené à une grande Renaissance culturelle aux États-Unis. est-ce qu'on est incapable d'une telle vision? est-ce qu'on va rester campés sur nos préjugés d'antan envers celles et ceux qui vivent «aux crochets de l'État», etc., simplement parce que la contribution sociale et économique de bien des gens, et surtout des artistes, est plus vague, plus diffuse, à long terme, moins facile à calculer que les lignes des talons de paye et des rapports d'impôt?

des millions de Canadien·nne·s ont vécu «aux crochets de l'État» ces derniers mois. pour autant, voulaient-ils moins contribuer au social, au communautaire, au culturel? tout un pan de l'économie des sociétés est *incalculable*, au sens fort du terme

il est temps de rompre avec les vieilles idoles qu'on vénère depuis les années 1980 : le dieu emploi, le dieu performance, le dieu paiement de la dette et son frère sinistre, le dieu austérité... il est temps de se donner des moyens minimaux pour avoir des arts faits par des artistes, et non pas par des gens toujours forcés de faire autre chose, parce que, dans les colonnes comptables des revenus d'État, on ne voit que ce qui saute aux yeux.

Mahigan Lepage

 

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