La cervelle des anges

Publié le par la freniere

J’ai passé deux mois en Louisiane à manger des écrevisses et du gombo, deux mois dans les bayous, deux mois au pays des crocodiles et des tortues géantes. De la ville des anges au désert navajo, des villages red-neck aux gratte-ciel new-yorkais, j’ai traversé tous les états. J’en parle encore avec le cœur du continent. Du western aux rythmes noirs, de la guitare aux tambours amérindiens, mes mots portent le blues et l’odeur des marais. Before I die, I want to live. Me faut écrire pour être vivant. Les chapeaux des champignons nous saluent, le chagga des bouleaux, les entailles des érables, les entrailles du vent. Les petits doigts de l’herbe nous font signe. L’écriture est posée comme un emplâtre sur la langue, un moignon soulevant la grammaire. Les mots ont la figure d’un clown. Ils passent en un rien de temps du rire aux larmes, du silence à la parole, de la joue à la boue, de la roue à la route. Le blues est un ami. Quand je suis seul, il remplace l’alcool. Chaque note est une goutte. Chaque note bleue soule mon âme. Parfois c’est de l’eau, parfois c’est du jus. Ce n’est jamais du coke ou de la coke. J’ai troqué la dope pour la luzerne, le cash pour du foin, les bras percés pour l’avoine et l’aveu.

 Ce qui manque prend le pas sur le reste. Écrire, c’est écouter les autres. Le plus important est de rester libre. Les paysages nous collent aux paupières. Le bleu du ciel farde les cils. Le blues imprègne jusqu’à la peau des blancs, des jaunes, des rouges. C’est une question de cœur et de cul, de musique et de souffle. Les phrases ont les yeux remplis de couleurs. J’ai marché longtemps vers l’horizon. Je continue la route sans sortir de chez moi. Je suspends la lessive des mots, les guenilles du sens, dans la cabane du vent, la cahute des saisons. Je recouds les haillons du discours.

Peut-être que les blessures bleuissent, que les feuilles rougeoient, que les bosquets verdissent, peut-être que les silences se mettent à parler, que les fleurs, que le plantes, que les mots, que les haillons s’habillent de beauté, que les mains font des gestes et les regards dessinent, peut-être ai-je pris goût au vol des oiseaux, à la force des bêtes, à l’encre et au papier, peut-être que le temps vide les tiroirs, change les meubles de place et secoue les tapis, peut-être que je fais des fausses notes dans les chaises musicales, des faux pas sur la route, que les idées colorent la cervelle des anges.

 

Jean-Marc La Frenière

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