Enfant grandi trop vite

Publié le par la freniere

Enfant grandi trop vite

je ne retrouve plus ma jeunesse au vestiaire.

Échappée d’un naufrage

ma casquette de marin chapeaute une patère.

Ma révolte est au clou

accrochée par le cou.

 

J’ai fait de mes deux mains des crayons de couleur.

Elles dessinent le monde lorsque bougent mes doigts,

du bleu entre les nuages,

du vert sur la terre,

du rouge pour le cœur,

des idées noires, des blancs de mémoire,

des mots pour la rature

ou la littérature,

des gestes pour l’amour,

des fleurs pour la mort,

plus de vagues pour la mer.

 

J’entends des voix dans mes oreilles

flirter avec les anges ou les démons.

Je suis peut-être fou.

On le murmure dans mon dos,

à bas mots, à bas bruit.

Je sais la tendresse des loups

et que le vent dépeigne

la chevelure des arbres.

Je sais la cruauté ou la bonté des hommes,

la laideur des uns et la beauté des autres.

 

Tous les oiseaux sont polyglottes.

Ils se comprennent d’un arbre à l’autre.

Avec ma langue unique

je ne parle pas l’espéranto

mais l’argot des voyous,

les accent de la campagne.

Mes mots sentent tour à tour

le cambouis ou le purin de porc,

le cuir des botterlots, l’odeur des p’tites culottes,

le gros rouge qui tache ou le champagne fin,

le treillis des soldats, la dentelle des vamps,

le berceau des bébé, le cercueil des vampires.

 

Des jours de deuil aux nuits folles,

des jours noirs aux nuits blanches

je perds mes couleurs.

cherchant des rimes à mes chansons,

je ne trouve que pipi de chat,

pipistrelle et chats morts.

Je ne suis pas un rimeur patenté

mais un rameur dans l’eau noire

sur une barque de lumière.

 

Il suffit d’un seul mot

pour entraîner la phrase

bousculer la grammaire, la faire basculer,

rendre leurs couilles aux mots émasculés.

J’écris par entêtement

sans savoir si demain

nous aurons le droit de lire.

On ne conjugue plus, on tweete.

Tant de mots disparaissent.

La grammaire n’est plus qu’une vieille grand-mère

qu’on enferme à l’hospice.

Ce n’est pas elle qui radote

mais Facebook dans l’argot des ragots.

 

Sur la page encore blanche

mes poèmes titubent.

La vie circule dans les ornières des phrases.

 

Jean-Marc La Frenière

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