Tatiana Chtcherbina

Publié le par la freniere

Tatiana Chtcherbina, née à Moscou en 1954, est poétesse, romancière et journaliste. Elle collabore à différents quotidiens et hebdomadaires en Allemagne et en France, et s’est notamment rendue populaire en Russie par ses chroniques régulières à l’attention des 55 millions d’auditeurs de Radio Liberty. Elle fut l’une des premières, dans les années 80, à révéler et élargir la brèche profonde existant entre la culture officielle et une avant-garde de moins en moins marginale. Devenue la véritable pythie d’une génération, elle fut l’une des initiatrices et idéologues de la Nouvelle Culture. À la croisée des langues et des cultures, la poésie de Tatiana Chtcherbina mêle subtilement le quotidien et l’utopie dans des images fulgurantes. L’ironie et la magie restent ici au service d’une grande liberté d’expression, voire d’une réelle insolence.

 
Parmi  les alphabets, Les Écrits des forges|Le Castor Astral, 1992
L’âme déroutée
, Les Écrits des Forges|Le Dé bleu, 1995
Antivirus, Écrits des Forges|L’idée bleue, 2005
 

Chaque soir qui nous voit séparés,
les liens du temps s’enfoncent dans l’abîme,
une serpe en guise de lune me lance
un reflet pour l’écrit devenu passerelle.
 
Entre les fenêtres de nos réduits
s’étend  la parabole des bas étages,
des réverbères, des courses de voitures,
et  des creux de verdure vivante.
 
Dressant un pont fait d’atomes de souffle,
de lettres-arabesques frémissantes,
je passe de nouveau l’épreuve,
je tire sur les liens du temps.
 
Je tends un fil relâché,
modifiant la pose de l’espace,
j’arrache sauvagement à la déesse
comme un chien la laisse des doigts.
 
Pourquoi, poussée par quel attrait :
l’air de mai, la liberté, les fleurs ?
Ou l’instant de folie passagère
qui  nous sauve au bord du gouffre ?
 
*
 

L’été s’achève la nuit, pour qu’on ne le voit pas,
la terre se dérobe sous les pieds et se couvre d’asphalte,
le pauvre maillot de bain traîne, chiffon délavé,
et ce qu’il recouvrait vit à peine sous une longue robe de chambre.

Le feuillage est devenu grossier, paroles et souliers sous la pluie.
La tendresse ne s’éveillera peut-être plus,
elle est aussi mortelle que ce hérisson qui grogne

en découvrant dans l’herbe sa compagne avec un idiot au long nez.
 

Ah ! l’été qui emporte avec lui les tables de plein-air,
les dos nus dans les jardins ensoleillés.
L’averse m’a surprise comme une pluie de balles,
Je suis rouée de mots comme de coups.

 
*

Traduction par Christine Zeytounian-Belous
 
 

L’âme déroutée

L’âme déroutée – un ange, tombé dans la boue
des routes, plumé comme s’il était poule,
comme s’il était plumeau, las de se battre
contre poussière ; obligé de sourire,
d’être lumière, telle une ampoule,
allumée et éteinte. L’âme, débranchée
du mur qui faisait la cour
à l’ampoule. C’est dur,
l’âme sèche et saoule !

L'âme déroutée propose des poèmes écrits directement en français, la plupart au cours d'un long séjour parisien.

Tatiana Chtcherbina
 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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