Dire 5
Aujourd'hui, on m'a offert un crayon de soleil. Quand je dessine la pluie, c'est comme un arc-en-ciel. Une poignée de terre laisse voir ses racines. L'érable dans ma cour retrouve son feuillage. J'entends son cœur de bois cogner contre l'écorce. Les oiseaux ont des ailes en forme de sourire. Les fourmis font des châteaux de sable sur le bord de l'étang. Les cigales ont apprises quelques notes de Mozart. Les araignées colorent des toiles de Gauguin. L'humidité sourit dans les bras de l'humus. Les abeilles butinent une barbe à papa. Mon corps ne cherche plus son ombre. Je trouve le soleil au milieu de la pluie. Je vois dans une fleur un jardin tout entier. J'entends les graines toquer pour sortir de terre. Je regarde la vie par les yeux d'un enfant.
Aujourd'hui, il n'y a rien de vraiment caché. Il suffit de regarder plus loin que les choses qu'on voit. Les mots sont comme ces oiseaux qui apparaissent et disparaissent aux mains du magicien. Cette page est un miroir brisé où chacun se reflète. C'est dans l'ensemble qu'apparaît un visage qui n'est jamais le même.
Aujourd'hui, il tombe dans la boule des feuilles de tilleul, des ailes de libellule, des samares en folie. C'est une balle au bond, un galet qui ricoche, un mot pris pour un autre. Chaque nouvelle phrase actionne la musique du cœur.
Aujourd'hui, les prosateurs m'ennuient. Un poète parfois m'apporte la lumière. Je le lis comme on regarde une pierre avec des yeux d'enfant. Je ne rature jamais. Je laisse sur la page les oiseaux à trois pattes, les consonnes orphelines, les phrases en bigoudis. Les mots trop beaux s'écrivent en rampant. Les petits mots préfèrent la danse. Les gros mots font parfois les plus belles dentelles. Il est décourageant d'écrire en regardant un arbre ou la délicatesse d'un glaieul. Ils décrivent si bien la lumière. Il y a des gens qui se promènent avec leur vie à côté d'eux sans savoir qu'on la voit. Le coeur le plus endurci a besoin lui aussi de prendre l'air. On voit sa main frôler celle du rêve avec un air gêné.
Aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi j'écris. Les feuilles qui se touchent dans l'arbre communiquent par les branches. À quoi s'accrochent les hommes engloutis dans la foule, les yeux rivés sur les écrans, les mains encombrées de paperasse, les âmes disparues dans les registres d'une morgue ? Je n'ai rien d'autre à faire qu'à aimer, apprivoiser les papillons, faire un nid sur la page pour y couver des mots. Ce sont les petits gestes qui éclairent la vie. Je tiens pour un miracle les petits poings de l'herbe qui soutiennent la neige, les grandes jambes de l'eau qui trébuchent parfois, le moindre vol d'oiseau, la lumière qui bande dans les muscles du vent.
Aujourd'hui, les mots sont orphelins. Les mots sont des enfants sans parenthèses. Ils courent sur la page avec un sac d'encre, à la petite cuillère dans le marc de café, à la louche dans la soupe. Ils jouent en culotte courte dans un parc à voyelles. Ils se perdent parfois dans les couloirs d'un livre. Ils font des rondes. Ils font des fautes. Ils font des phrases dans le fossé des alphabets. Ils font sauter la nuit les verrous du soleil. Ils s'inventent un chemin dans la neige, un ciel sur la terre. Ils ajoutent un barreau à l'escalier du cœur.