Une abeille dans l'église

Publié le par la freniere

Dans la vaisselle chic, c’est le voisin qu’on mange. On ne cherche pas l’amour mais la gloire. On se prend pour l’orchestre sans jouer d’instrument. À la une des journaux, l’implant mammaire d’une vedette relègue la guerre aux faits divers. On n’entend pas tomber les bombes quand on pleure un caniche. Les fruits perdent leur âme dans les grandes surfaces. On apprend aux moutons à se tondre entre eux. On apprend aux loups à se ronger les crocs. On n’apprend pas la vie mais le prix des objets. On ne voit plus que les cendres du réel sur les écrans du rêve, l’exaspération toxique des faux appétits. Pendant que l’Amérique se prend pour un garde-manger, la planète crève de faim. L’instinct de conservation semble disparaître proportionnellement au développement technologique. La bête en nous ne sera bientôt plus qu’un écrou, la cervelle, un écran.

J’attends que la paperasse perde la face dans la colère des arbres. Chaque être peut aimer beaucoup plus qu’il ne croit, et pour l’autre et pour soi. Un violon mord le silence. Un pendule perd son temps mais garde ses aiguilles. Une abeille dans l’église est la seule à prier. La musique est translucide comme l’eau. Les gouttes de pluie tombent note par note. Un enfant qu’on fait tourner dans ses bras rattrape les étoiles. Ses petites mains potelées les transforment en oiseaux, en nuages de peluche, en cerfs-volants de sucre, en mots de confiture. Ses rires de cristal font tinter la lumière. Un ruisseau fait son lit dans la pierre des jours. Pour réparer le corps, pour repriser le temps, il suffit d’appuyer l’oreille sur un sein, la tête sur le cœur.

De la tige aux pétales, il faut beaucoup de courage aux fleurs pour continuer d’être belles sous le regard des hommes. Du microbe à l’enfant, il faut beaucoup d’espoir pour continuer d’aimer. De l’insecte au pollen, il faut beaucoup d’amour pour continuer de vivre. Au printemps, la moindre flaque d’eau est une église. Dans le jubé de l’herbe, la chorale des insectes entonne un chant de vie. Ouvrant le sexe de la terre, des larves en prière nourrissent les racines. Le groin des pierres ronge la neige pour respirer l’humus. La feuille à l’intérieur de l’arbre s’habille en bourgeon et s’apprête à sortir pomponnée pour l’été. Le ciel vient labourer les mottes bleues de la mer. Il pousse des pensées dans les blancs des poèmes. Je traverse à la voix un ruisseau de papier semé de cailloux d’encre. Je poursuis sans répit le reflet d’un reflet.

 

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article