La maison du pain

Publié le par la freniere

La moindre des semences ne parle pas de miracle. Elle le vit. Il en est de l’amour comme le blé qui lève. Nous sommes tous les membres d’un grand corps commun. Chaque geste se conjugue aux millions d’autres gestes, chaque fleur aux étoiles, chaque brin d’herbe à l’azur. Quand l’humus avale trop de poussière ou de béton, chaque racine étouffe. Il y a des fleurs en nous, des oiseaux, des parcelles d’étoiles. Il y a de l’homme chez les bêtes, de l’éternel dans un jour. Il n’y a rien d’autre dans un portefeuille que la sueur des pauvres, des enfants morts de faim dans l’appétit des banques. Mon sang roule sa boule jusqu’à mes bras en branches. Je m’appuie sur le vent pour écrire ces lignes alors que le soleil fait sa ronde dans la maison du pain.

La terre nourrit les arbres qui nourrissent la terre. La pluie donne à la pluie ce qu’exige la pluie. L’homme arrache à la terre ce qu’elle ne peut donner, à l’autre son visage, son enfant à la mère pour en faire un soldat, son espoir à l’enfant, au poète ses mots pour vendre de la mort, à l’arbre son berceau pour en faire une bière. Quand l’arbre touche un fil, c’est la branche qu’on coupe. Quand la pomme résiste, on lui arrache le cœur. Quand le mouton est noir, on lui fait la peau comme on clouait les chouettes sur la porte des granges.

Je n’ai pas de maison pour abriter l’espoir. Ma vie ne tient qu’à cette pelote de mots, à ce tricot de phrases à remmailler sans cesse au fil des images. C’est à force de nuit que l’on gagne le jour. J’abandonne un à un les costumes de scène, les accessoires du décor, les répliques toute faites, deux mille ans de poussière sur le plancher du cœur. J’avance dans le brouillard, les ronces, les averses, cherchant un grain de sable qu’on n’aurait pas souillé. Je garde dans mon corps la main qui baigne dans l’argile, les doigts frottant la pierre et les yeux d’un enfant qui découvre la mer. Qu’on l’habille de cuir, de cicatrices, de soie, de tatouages, nous portons tous en nous le squelette du premier homme.

Les saisons sont brèves mais le temps continue. Il faut la pierre et l’eau pour apaiser la soif. Il faut l’arbre et l’écorce. Il faut la chlorophylle où grandit la lumière, la sève dans la fleur, pour que naisse le fruit. Il faut le vent pour le pollen, l’abeille pour le miel. Il faut l’amour à l’homme pour en faire son pain sans détruire le blé. Il faut purifier l’eau dans le creuset du monde, nettoyer les nuages, dépolluer la mer, déminer les déserts et retrouver l’enfant égaré dans les ruines. Pendant qu’on tue la mer, à chaque jour, je déterre ma mère pour retrouver les vagues. À force de tout perdre, j’ai libéré ma voix. J’accompagne l’oiseau dans la rumeur du monde.

Publié dans Prose

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