Pierrot Léger
Le poète et animateur culturel Pierre Léger, dit Pierrot-le-fou, est décédé ces derniers jours à Montréal. Bourgeois défroqué, dérangeur de monde, baptisé Pierrot Le Fou par l'écrivain Patrick Straram dit Bison Ravi, il aurait eu 64 ans en juin. Il était associé de très près à la contre-culture et au mouvement général de contestation culturelle de la fin des années 60 et des années 70. Après avoir commencé sa carrière dans le monde politique au début des années 60, comme attaché de presse du ministre de l'Éducation et membre du Conseil général du RIN, il était devenu un des animateurs de la scène contre-culturelle québécoise. Il avait créé en 1970 le groupe mythique La Sainte-Trinité, avec Plume Latraverse et Pierre Landry, avant de mettre sur pied, avec d'autres, le bar-théâtre La Casanous, célèbre pour ses soirées de poésie. Il avait publié quelques livres, dont Embarke mon amour, c'est pas une joke aux Éditions Mainmise dans les années 70, et plus récemment Les Chants de la soif aux Écrits des Forges.
Le Pays au destin nu, Beauchemin, 1963
La Canadienne française et l’amour, Jour, 1965
La Supplique de tit cul La Motte, Miniatures, 1967
Complaintes d’un écorché heureux, Estérel, 1969
Embarke mon amour c’est pas une joke, Mainmise, 1972
Le Show d’Évariste le Nabord-à-Bab, Parti Pris, 1977
Les vendredivins de Saint-Crystal, La Porte suivante, 1979
Si vous saviez d’où je reviens, Le Noroit, 1980
Les Chants de la soif, Écrits des forges, 1990
«Je me rappelle qu'au plus loin dans ma campagne, mes grandes oreilles d'adolescent isolé captaient dans le brouillard de petits mottons de frasquerie tout mêlés, roulant dans les tonneaux de la Casanous, du rocher Percé, du grand flanc mou. Pierre à briquet, gerbe d'étincelles, je n'ai pourtant tenu dans mes mains que des petits casseaux épars de poèmes de Pierrot le sain. Je n'oublierai pas la nécessité de ses mots de fête et de frère qui vinrent néanmoins en écho jusqu'à moi pour me réveiller.» Jacques Desmarais
Les hommes de mon âge Charlot figent la nature
Et les choses de la nature
Ils verrouillent le moindre caprice de la vie
Parce qu’ils ont peur d’être troublés dans leur sommeil
Ils ignorent que la gorge des gars de ton âge
C’est comme une serre chaude par où s’enfoncent nos nuits blanches
Que le sourire des fillettes de ton âge
C’est comme l’heureusement des pervenches à genoux
Les hommes de mon âge le charlot contournent
Les bras de la mer
Pour le ciment des villes mortes
Ils ont planté dans leur mémoire l’apparence d’un seul jour
Qu’ils n’ont plus jamais remis en question
Ta jeunesse le charlot c’est l’interminable que nous avons oublié
- Ne lance pas l’anneau brillant du possible à venir
Aux ponts et chaussées de l’autoroute hachée
Qui s’arrête sur le retour et sur la mort –
Je me demande encore le charlot s’il est vrai
Que restent nos corps après nos âmes
Tu as peut-être dans tes bras
La grande équation de la vie
Où le corps après l’âme continue la cueillette de l’espoir dans les granges du matin
Demain vois-tu le charlot
(toi le clown d’agile clavier du soleil)
Vous serez rendus chez les grands
Parlerez-vous seulement des juges des tavernes et des bordels de chez nous
Car à votre tour vous tiendrez de grands feux de bois
En pensant aux sourciers des plus douces folies de la terre
En vous disant que tout ce langage est à refaire
Que vos pères n’ont plus qu’à vous entendre respirer
Vos pulsations : murmures intenses et secrets comme des éclairs de courts-circuits
Où les nuits du Pays porteront vos empreintes
On dira tiens une nouvelle constellation
Les mains de la rosée
Le vol d’oiseau des jours
La jambe d’une flamme jaune
Les jeux d’un mouvement de nuage
La soif d’une fraîche bruine
Le chant minéral d’un vieux poêle à bois
La forme des montagnes au-dessus de ta vie
Le nom de tes chatons roulant près de tes pieds
La naïveté de la mousse au bord d’une falaise
Les sommets qui ne se nomment plus
Comme les chiens perdus qui n’ont jamais de nom
La longue torche du premier espoir
La pupille fauve et sombre qui déborde une paupière seule
Le train qu’on regarde passer
Et ces sables chantant que nous glissons entre nos doigts
Demain le charlot demain
Les filles danseront les plus longues polkas
Des nouveaux-nés à l’âge des adultes
Un deux trois un deux trois négocions notre paix
Avec les révoltés des steppes intérieures
Quel oiseau de nuit le charlot
N’a pas fracassé l’or
Des derniers penseurs
Quel oiseau de cendre et de nuit
N’a pas traîné son aile
Sur une table desservie
Portent les voix des hommes qui ont faim
Des enfants chez les grands…
Salut le charlot ! salut bonhomme !
Ne lance pas, le charlot
L’anneau brillant du possible à venir