Yehuda Amichai
De son vrai nom Ludwig Pfeuffer, il est né en 1924 à Würzburg en Allemagne, et émigre avec sa famille en Palestine en 1936. Après avoir complété ses études, notamment littéraires et religieuses, il s'engage dans la brigade juive de l'armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale puis dans le Palmach (le bras armé de la Haganah) durant la guerre d'indépendance de 1948. Il a longtemps enseigné. Celui qui se définit comme « un fanatique de la paix » et qui a travaillé avec des écrivains palestiniens est devenu un avocat du dialogue et de la réconciliation dans la région.
Poèmes de Jérusalem, Éditions de l'Éclat, 1992
Anthologie personnelle, Actes Sud, 1992
Les morts de mon père et autres nouvelles, Éditions de l'Éclat, 2001
Début fin début (poésie), Éditions de l'Éclat, 2001
Perdu dans la grâce (poèmes choisis), Gallimard, 2006
« Tu ne désireras pas » pépie l’oiseau.
« Tu ne te feras pas d’idole » crie un autre oiseau.
Les cieux étaient rouges au-dessus de Petah Tikvah
comme l’intérieur du corps des hommes.
Et moi, qui vais certainement mourir dans une des années à venir,
je m’éveille d’une sieste d’après-midi pour la vie éternelle
jusqu’à la nuit tombée.
Le mélange de mon père et de ma mère
se brise en moi en parties séparées.
Je suis aussi heureux qu’une cage vide sans oiseau.
Je suis aussi mélancolique qu’une cage vide sans oiseau.
Mon seul drapeau ce sont mes habits
mon seul hymne est mon souffle,
et le premier et le dernier mot est :
« ICI. »
Le lieu où je n’ai pas été,
Jamais je n’y serai.
Le lieu où j’ai été, j’ai l’impression
De n’y avoir pas été.
Les hommes errent
Loin du lieu de leur naissance
Et loin des mots prononcés
Par leurs propres bouches,
À l’extérieur des promesses
Qu’on a faites.
Dieu a pitié des enfants de la maternelle
Et un peu moins de ceux de l’école.
Quand aux grands, il n’a plus pour eux nulle pitié,
Et les laisse seuls,
Il leur faudra parfois ramper
Dans le sable brûlant
Pour atteindre le point de ramassage
Peut-être qu’à ceux qui s’aiment véritablement
Il accordera sa pitié, les épargnant et les ombrageant
Comme l’arbre le dormeur sur un des bancs
*
La solitude a des fenêtres et une porte,
Des tuyaux à l’intérieur et à l’extérieur,
Comme toutes les maisons.
Et ce qui s’étend devant moi est grand silencieux
Comme la partie encore vide d’un cimetière.
Mon sang a de nombreux parents.
Ils ne lui rendent jamais visite.
Mais quand ils meurent,
Mon sang hérite.
« Quelle sorte de personne êtes-vous donc », je les entends me demander cela.
Je suis une personne avec une âme à la tuyauterie complexe,
des outils sophistiqués pour ressentir et un système
de mémoire contrôlée de la fin du vingtième siècle,
mais avec un vieux corps des temps anciens
et avec un Dieu encore plus vieux que mon corps.
Je suis une personne pour la surface de la terre.
Les lieux bas, les caves et les fossés
me font peur. Les pics des montagnes
et les grands buildings me terrifient.
Je ne suis pas comme une fourchette insérée,
non plus un couteau tranchant, non plus une cuillère figée.
Je ne suis pas plat et furtif
comme une spatule rampant de haut en bas,
tout au plus je suis un lourd et maladroit pilon
écrasant le bien et le mal ensemble
pour un peu de goût
et un peu de parfum.
Les flèches ne me dirigent pas. Je conduis
mon commerce prudemment et calmement
comme une grande volonté qui commence à être écrite
depuis l’instant où je suis né.
Maintenant je suis debout du côté de la rue
las, accoudé à un parcmètre.
Je peux rester là pour rien, libre.
Je ne suis pas une voiture, je suis une personne,
un homme-dieu, un dieu-homme
dont les jours sont comptés. Allélouilla
sur esprits nomades:www.espritsnomades.com/sitelitterature/sommairelitterature.html