L'art indiscipliné

Publié le par la freniere

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Il arrive que l'art soit là où personne ne le soupçonne. L'art ne dépend pas de l'artiste professionnel, une telle profession n'existe pas en soi. L'art est précisément une fleur singulière qui ne tolère de lieu d'aucune sorte. L'art résulte d'une pulsion dont le pourcentage restera inchangé, et cette pulsion ne pourra être exterminée, car cette race d'hommes raffinés, sensibles et dégénérés ne disparaîtra jamais. (Kurt Schwitters, Merz, 1990).

 


Arthur Villeneuve

L'art indiscipliné est un terme associé aux créations artistiques marginales. Il identifie des oeuvres créées par des personnes étrangères aux milieux artistiques officiels ou s'en écartant délibérément. L'art indiscipliné regroupe des oeuvres qui se situent aux limites des courants artistiques institutionnels, comme l'art brut et l'art populaire ou encore l'outsider art et le folk art (termes en usage dans les communautés anglophones). Les oeuvres relevant de ces diverses catégories possèdent entre elles, tant sur le plan historique que formel, des liens de parenté indéniables. Le plus remarquable de ces liens est certainement le caractère « indiscipliné » de l'acte artistique. En choisissant l'art indiscipliné pour objet de recherche, de documentation, de diffusion et d'éducation, la Société des arts indisciplinés pose d'emblée l'idée que cet art relève avant tout d'une démarche autonome, indépendante et insubordonnée.

LES ARTISTES INDISCIPLINÉS

Au nombre des figures de proue de l'art indiscipliné au Québec et au Canada, on pense notamment au peintre de Chicoutimi Arthur Villeneuve et aux représentations colorées qui couvrent les murs de sa maison, à Richard Greaves et à ses architectures fantastiques et anarchiques dispersées dans sa forêt, à Philippe Roy et à ses sculptures religieuses singulières ainsi qu'à Dominique Engel et à ses véhicules oniriques et sophistiqués. On pense également à Georges Cockayne, à Marie-Anna Voisine, à Edmond Châtigny et à Alphonse Grenier. Aux États-Unis et en Europe, ces oeuvres trouvent, par exemple, leur pendant dans les tours de Watt de Simon Rodia et dans le Palais Idéal de Ferdinand Cheval, dans les dessins d'Henri Darger, de Madge Gill et de Johann Hauser, et dans les sculptures bricolées et inspirées de Giovanni Battista Podestà et d'Émile Rattier.

Ces artistes, généralement des autodidactes, seraient étrangers à toute volonté de construire sur les ruines du passé une quelconque histoire. Tout au contraire, ils seraient les farouches défenseurs d'un individualisme radical qui les garderait à la case départ du progrès. D'où, bien entendu, les noms de primitifs, naïfs ou populaires qui les qualifient dans les manuels. (Jean Simard, Les lieux de l'art indiscipliné, 1999)

Animés d'une foi inébranlable, ces artistes entreprennent des projets qui prennent souvent des proportions inattendues, inusitées et surprenantes. Les oeuvres indisciplinées se trouvent intimement liées au quotidien de l'artiste et fusionnent avec lui. Elles portent l'empreinte de son histoire et de son cadre de vie : les savoir-faire liés à sa profession, les matériaux recyclés trouvés dans son environnement immédiat, les sujets tirés de magazines. Ce qui fascine indubitablement chez ces artistes, c'est la nature de l'engagement artistique, qui allie assurance, discipline de travail et frénésie.

LES ARTISTES INDISCIPLINÉS DANS L'HISTOIRE DE L'ART

L'intérêt pour le primitivisme, pour l'authenticité, pour les « commencements originaires de l'art » (Paul Klee) et les pouvoirs de l'inconscient, gagne l'Europe entière dès le début du XXe siècle, bouleversant la pensée esthétique et intellectuelle. Dans ce contexte culturel, les artistes accordent une attention particulière aux créations enfantines, aux productions tribales, aux gravures populaires et aux collections des hôpitaux psychiatriques. Des artistes comme Wassily Kandinsky, Max Ernst, André Breton, Pablo Picasso, et plus récemment, comme Jean Tinguely, Georg Baselitz, Arnulf Rainer et Julian Schnabel, furent influencés à différents niveaux dans leur style, leur technique et leur réflexion artistique par les oeuvres de créateurs marginaux. Le cas le plus célèbre est Jean Dubuffet qui a accumulé durant sa vie un grand nombre d'oeuvres regroupées dans la célèbre Collection de l'art brut inaugurée à Lausanne en 1976. En 1945, Dubuffet définissait l'art brut qui, pour lui, ne visait pas spécialement l'art des « fous » mais plus généralement les travaux réalisés par des autodidactes, des excentriques ou des « isolés sociaux ». Ainsi développée, cette définition permet aisément d'inclure aujourd'hui l'art brut dans le champ de l'art indiscipliné.

Ces manifestations artistiques indépendantes ont depuis longtemps captivé l'attention de collectionneurs privés reconnus. En Europe et aux États-Unis, on assiste, depuis les années 60, à la prolifération d'organisations et de musées voués à leur mise en valeur et à leur conservation. Des galeries d'art commerciales et des festivals voient le jour. Au Québec et au Canada, la connaissance de ces oeuvres est plus récente. Les arts indisciplinés ont été révélés par le biais d'inventaires ayant mené à des publications (Les patenteux du Québec, en 1974, Pour passer le temps, en 1985), et d'expositions (Les chroniques du Québec d'Arthur Villeneuve, au Musée des beaux-arts de Montréal en 1972, Les paradis du monde, au Musée canadien des civilisations en 1995).

Publié dans Glanures

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