Sous la surface du visible

Publié le par la freniere

Sur la dictée confuse de l’automne, le vent rature les feuillages. On n’a pas encore rentré les chaises. Le soleil s’y prélasse en attendant la neige. Les érables en hiver gardent-ils en mémoire la rougeur des feuilles ? Sur le blanc de la neige, leur écorce a pris la couleur de l’encre. Ce sont des maisons vides que les oiseaux désertent, des armoires à neige, des étagères à vent. Les champs sont devenus sévères. La pleine lune reflète la face cachée de la terre.

Malgré le froid qui mord, les arbres continuent de grandir. Les racines font du feu parmi les cendres blanches comme des points de soudeur. Les arbres marchent avec des jambes souterraines. Fraîchement repassé, le costume de l’aube attend le corps du jour. Les éclairs de l’orage ont traversé les siècles pour un si court instant.

La tempête finie le ciel reste plein. La terre se gonfle de présence. Des rigoles de rêve fissurent le réel. Des hommes sautillent sur place, cherchant le cri qu’ils n’ont jamais poussé. D’autres cherchent un point pour soulever le monde, un signe de la main, un sourire, un coin forgé dans l’espérance, une perle de rosée au cœur des lupins.

Le paysage s’écrit en déliés de pierre, en petit bois, en lettres végétales, en virgules sonores, en arbres, en écume, en italiques frissonnantes. Le fil de l’azur traverse le chas de l’horizon. Il y a loin du cœur solaire aux aurores polaires. La chaleur n’est plus qu’une mauvaise laine. Le feu se bande contre l’hiver. Les ombres viennent boire à même la lumière.

Les stylos grattent sous la surface du visible. Il pleut à réveiller les morts. Les ombres coulent sur les corniches. Les éclairs font de l’œil à la peau des ruisseaux. La fumée cherche les poumons. Boursouflé de sueurs, le battant d’une lucarne s’ouvre à l’intérieur du corps. Il fait froid dans la chambre du cœur. La pensée se brise dans les mots. Une lampe éteinte éclaire dans la nuit.

Pour tromper les aveugles, on ne leur offre plus que des fleurs de papier. Il n’y a plus d’odeurs. Le vent change constamment tout en restant le même. La neige crisse. Les oiseaux gèlent sur les branches. Le paysage vole en éclats. Les mots retournent à la matière, au cœur profond des choses où la mémoire implose.

Publié dans Prose

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