Il y a trop de beauté

Publié le par la freniere

il y a trop de beauté ici-bas et c'est sans doute pour cela qu'elle s'en va parfois à la mer, elle est vieille maintenant, elle a dépouillé son corps de ses attentes, a dépouillé sa vie de ses illusions, elle peut maintenant cesser d'espérer, cesser de vouloir, accéder enfin à cette étrange quiétude qui annonce que la mort est proche, elle n'a plus de remords maintenant, elle ne veut plus souffrir car cela ne sert à rien, elle le sait, on ne peut retourner sur ses pas, on ne peut rien changer, on ne peut altérer son passé, elle partira comme elle est venue, lâche et généreuse, tourmentée et heureuse, il y a des choses qu'il lui reste cependant à dire, rien de bien extraordinaire, des banalités mais des choses qu'elle aimerait dire à ses proches, à ses enfants mais elle ne les dira pas, il faut parfois se taire, il faut apprendre le silence, il faut devenir invisible à ceux qu'on aime parce qu'ils ne sont déjà plus là,

 

il y a donc trop de beauté ici-bas et c'est sans doute pour cela qu'elle s'en va parfois à la mer, elle aime beaucoup la beauté, peut être trop, elle aime les choses les plus simples, l'inouï que l'ordinaire recèle mais elle ne sait pas en parler, elle ne sait pas quoi dire, elle n'a jamais vraiment su quoi dire, il lui manque les mots, cette volubilité facile des gens qui sont toujours à leur place, qui sont toujours emplis de confiance, elle aime ainsi le sourire des enfants, le surgissement de ce bonheur inconsidéré qui ignore les malentendus et la violence, elle aime le répit de l'aube quand le monde attend de naître, ce calme impatient qui se métamorphose ensuite en une explosion de verbes et de couleurs ou encore ces étoiles qui la nuit venue calligraphient des danses insensées et magnifiques,

 

il y a donc trop de beauté ici-bas et c'est sans doute pour cela qu'elle s'en va parfois à la mer et qu'elle glane, avec ses mains trop ridées, un peu d'eau qu'elle laisse s'écouler sur son visage et elle se sent alors tellement bien qu'elle a envie de pleurer, qu'elle se met à pleurer, elle se laisse enfin aller, il n'y a plus lieu d'avoir peur, il n'y a plus lieu de souffrir, de douter, elle est réconciliée, tout a enfin un sens et ce sens brise tous les pores de sa chair, de son être et c'est ainsi, à l'abri du temps, de ce temps qui a perdu de sa cohérence, de son vouloir, qui désormais lui obéit, qu'elle meurt un peu, qu'elle meurt lentement, elle meurt un jour de sérénité et de sang, accroupie sur le sable, l'eau de la mer mêlée à ses larmes, elle meurt, lucide et affranchie, touche de bleu qui blesse le tableau sombre et crépusculaire de la mort.

Umar Timol

Publié dans Prose

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