La dignité

Publié le par la freniere


Rivés devant l'écran
nous ne savons plus si nous vivons.
Nous respirons par une antenne,
par un acteur interposé,
par un voyant électronique.
Nous ne savons plus aimer
sans suivre un générique,
sans playback, sans montage.
Nous ne savons plus ouvrir les yeux
sans scénario, sans prise de vue.
Nous ne savons plus rire
sans un punch à la fin,
sans un clown de service.
Nous ne savons plus lire
que les livres d'images
et les modes d'emploi.
Nous ne savons plus crever
en crachant sur les tombes.
Engoncé dans nos corps comme des étrangers
nous vivons par procuration.
À défaut d'être libres nous zappons le réel
comme ces chiens qui mordent
dans un os en plastique.
Nous n'allons plus pisser
sans une pause commerciale.
Nous mangeons du voisin
sans cracher les pépins.
Nous ne savons de lui
que sa marque d'auto.
Nous ne savons du monde
que les bulletins de nouvelles
et l'horaire des films.
Nous ne savons plus compter
sans dollars à la main.
Nous ne savons plus brouter
sans les bêlements télégéniques.
Nous ne savons plus voir
sans photos numériques.
Nous n'allons plus au bois
sans portable ni raison.
Il n'y a plus d'enfants
qui coursent dans la cour
ni de voleurs de pommes
dans le verger du cœur.
Les enfants du Sahel
ne sautent plus à la corde,
ils sautent sur des mines.
Les fillettes ne jouent plus à la mère
sans une seringue dans le bras.
Les garçons jouent aux hommes
Avec un vrai fusil.
La liberté n'est plus qu'une marque de yogourt.*
La dignité n'est plus qu'une couche à vieillard.

*Pierre Falardeau




 

 

Publié dans Poésie

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