Au présent

Publié le par la freniere

L’art, délaissant le sujet pour la matière, n’est plus qu’un produit. La signature de l’artiste n’authentifie qu’un billet de banque. À semer sans amour on ne récolte que l’insensé. Il n’y a plus de chair mais un devis. Il n’y a plus d’image mais un signe. L’instant n’a que l’apparence du présent. Le corps n’appartient pas au présent mais chevauche le temps. L’homme qui se conçoit à l’image d’un Dieu en perd l’absolu. Quand la pensée me fuit, je retrouve le rêve et le frisson des choses. Je fais partie de l’eau, de l’herbe, des odeurs. Je mêle ma parole au fumet de la soupe, à la braise du feu, à la neige qui tombe. Le sens est un élan pour enjamber le ciel. Il faut que l’écriture engage tout le corps. Il faut écrire tout autant avec les yeux que les oreilles. La main qui tient l’outil n’écrase pas la plume, elle lui donne son souffle. Des milliers de personnes ne sont plus personne. Elles portent le nom que leur donne l’argent. L’espace de l’économie est celui de l’absence. Nous ne savons plus vivre l’un pour l’autre. Nous vivons pour paraître. Dans ces conditions, se révolter, s’exprimer, s’aimer, c’est créer un mouvement d’identité, remplacer les couteaux dans le dos par l’accolade, le cynisme par la colère, les haut-le-cœur par la révolte. On ne doit pas baisser la tête mais soulever l’horizon.

Le matériau dont les mots sont faits n’est pas dans les mots. La phrase commence où l’on veut qu’elle commence. Pour descendre vers le haut ou monter vers le bas, il faut être debout. S’il faut remercier le pain ou saluer la table, il faut surtout aimer la faim qui apporte les deux. Il faut aimer la soif, l’eau qui monte en vapeur ou retombe en flocons. Pourquoi donner du sens à la bête sémiotique ? Les mots sont comme des hommes. Les doigts des voyelles tremblent. Les consonnes peuvent pleurer. Le crayon est mon bâton de pèlerin. J’en ai besoin pour dessiner la route. Il arrive que la pensée ait l’odeur des choses. Il n’y a pas de vide sans le plein. On se souvient toujours de la lumière, rarement de l’ombre. Il n’y a pas de lumière sans lumière ni d’ombre sans ombre. Il y a pour chaque nuage un ciel différent, un même sang pour tous. Une main ne tient pas seule dans une main, un cœur dans un corps, un amour dans l’amour. Il manque au visible l’immensité de l’invisible. Il manque au réel la grandeur du rêve. Dans le nid de la mort, les œufs restent vivants.

Publié dans Prose

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