L'envers du mensonge

Publié le par la freniere

Lorsque le jour se lève, il titube en bâillant. La tête du rêve roule sous la guillotine du réel. La ville se shoote aux hormones comme aux amphétamines. Les oiseaux vont mourir au cimetière d’autos parmi les automates et les larmes souillées. Le vent traîne en boitant une jambe malade. Les vers font leur nid sous les paupières tombales et le soleil étouffe sous une cagoule d’ombre. L’âme se perd entre les éprouvettes et les seringues sales. Le cœur s’effiloche comme du papier-monnaie. J’écris vite avant de me noyer dans une mer d’angoisse, la bouche rampant sur des éclats de verre. Je tague un peu de ciel sur les murs placardés de dollars, d’affiches et de slogans. Je dresse dans les clartés éteintes une petite flamme. Je cherche un peu de chair dans un peuple de choses, le pubis d’un o dans le corps du silence. Quelque part, l’espoir des Incas traverse incognito des mondes inconnus. La mer vient hanter une maison de sable. Le sang aux cent visages refait son maquillage dans le miroir des veines.
Cernés par les écrans, les yeux s’éteignent un à un. Les outardes s’égarent entre le nord et le Far-West. Les lucioles pâlissent entre les phares des autos et le fard des jours. Des écureuils sans poil viennent se pendre aux branches de béton. Il n’y a plus d’été mais des climatiseurs. La petitesse de l’homme souligne sa grandeur mais on a fait de lui une valeur marchande. Qui ne dit rien consent. Le silence des esclaves est un maillon de plus sur la chaîne de montage. Quand on ouvre une tombe, il y a entre les os déjà blanchis des milliers d’autres morts. De la croisée des routes à la dernière étoile, de la graine à la tige, tout communique, l’humus avec la neige, le plus petit brin d’herbe avec le vaste monde, les neurones avec les anémones, les dinosaures avec les androïdes, la selle de l’hippocampe avec le cheval-vapeur, le cerveau d’un caillou avec un cœur d’enfant.
Les portes ne suffisent pas pour oublier les murs. La plage est un ventre ou la mer gémit. La falaise est un mur ou nichent les éclairs. Les genoux sont des gonds que font battre les pas. Ce sont les nouveau-nés que pleurent les mourants. L’envers du mensonge n’est pas la vérité. Lassé des trousseaux de clefs et des poignées de porte, le bras du monde n’attend qu’une poignée de main. Quand je ne rêve pas, je me demande alors à quoi rêve mon loup. Je m’éveille ce matin parmi des mots sans force réclamant des voyelles qui ne soient pas à vendre, des syllabes sans prix au milieu des phantasmes. Dans ce monde qui ne jure plus de rien, sinon l’injure et le parjure, je résiste au bâillon avec l’aide des baisers. Imitant les rivières, j’écris avec des lèvres nues sur la bouche du vent. Je cherche la lumière dans la poussière de l’âme, une échelle de corde dans l’abîme des hommes.

Publié dans Prose

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