Tête à tête

Publié le par la freniere


Me voilà de nouveau en tête à tête avec la terre. Les deux mains dans la boue, j'écris avec mes doigts. Une fauvette me regarde façonner une source. L'arbre ne cesse de protéger les hommes avec sa générosité. Saurais-je assez aimer la terre, le frémissement de la vie, le silence des semences ? Saurais-je pétrir cette vie, appareiller ses plantes, écouter les insectes, accommoder la source avec la soif, le pollen et le vent, la légèreté de l'aube et le fer des outils ? Un jardin se crée avec amour. Une fleur suffit à supporter le temps comme le sang dans les veines anime chaque geste. Le pays des géants est celui des enfants. Celui des choses est le pays des hommes. Je mets des bottes de sept lieues à chaque graine. Le bout du monde est dans le vent qui passe, sa valise pleine d'odeurs.

La porte sort de ses gonds. Le fleuve sort de son lit. L'eau retenue fissure les barrages. La fourrure se tanne sur la peau des rombières. Que font les bêtes après la mort, préparent-elles une table pour qui les a mangées ? Que font les fleurs quand elles fanent, préparent-elles une route pour ceux qui les piétinent ? Que font les mots dans le silence, préparent-ils une page pour ceux qui les raturent ? Sans amour les hommes comptent leurs sous, les femmes comptent leurs rides et les enfants se content des histoires de monstres, des fables sans légende, des îles sans trésor, des tours sans princesse. Il n'y a plus de rêve. Cendrillon rentre à l'heure recharger son portable.
Entre la mort et moi, j'apprivoise les mots pour que le temps déborde la ligne d'horizon. Je cherche la lumière sur le visage de l'homme. Le haut de l'arbre ne voit pas son destin mais ses racines l'imaginent. Je nomme chaque pierre, chaque arbre, chaque plante. Je remplis mon carnet de prénoms végétaux, de patronymes inconnus, d'adresses minérales. J'aménage des nids dans les failles des murs, des plages de musique dans le bruit des moteurs, des clairières de soleil dans la brume des chiffres. Contre la mort dans l'âme, la douleur au fond des yeux, les acouphènes du cœur, je cherche des remèdes, des images, des mots.

La terre tourne encore même si l'homme à rebours entrave les saisons. Coincé dans les ornières verticales d'un ascenseur, il devra bien descendre sur le plancher des vaches. Il devra bien un jour sortir de son automobile et apprendre à marcher. Ça y est. Le lac est calé. Plus un ilot de glace ne déplace ses pions sur l'échiquier de l'eau. La nuit a déposé les gants. On sent battre son pouls sous la peau de la lune. Les papiers vides se remplissent de mots. Les fantômes amaigris retrouvent la chaleur des fruits. Les bourgeons ouvrent leurs yeux de feuilles. Assis avec les mots, je les tourne en tout sens comme une pelote de laine. Quand je tire sur le fil, une phrase apparaît. J'en ferai un tricot pour habiller le silence, un pull-over de peine, un pansement d'espérance. Quel bonheur ce serait si nous voulions aimer au lieu de posséder. Je ne veux plus crier ce qui fait mal. Je veux chanter ce qui fait vivre. Je crois à l'infini mais j'aime justement.

Publié dans Prose

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