La rouille
Il jette son mégot marron et crache. Pieds mouillés. Odeur d'essence. Un camion avale les déchets pendant qu'un autre dégueule une nouvelle dose de portes de frigos et de moteurs de tracteurs. Un type en bleu arrive et lui demande s'il a encore ces becs de radiateurs en fonte. 12 caisses qu'il répond en souriant et l'intérieur de sa bouche ressemble à une nuit pleine de sang. Deux gars aux joues rouges et aux doigts noirs trient les morceaux de tôle. On entend leurs rires et leurs grognements à travers la plaine. Un chat maigre traine entre les carcasses de voitures et les anciens silos de maïs. Tout est poisseux d'aube et de pluie à perte de vue. Des caisses noires pleines d'huiles de vidange figurent les mares sans grenouilles de ce paysage sordide. Un minot fait du cross en dévalant d'un tas à l'autre ou en sautant par dessus les flaques creusées par le va et vient des camions bennes. Deux ou trois buissons de ronces servent de HLM à une patrie criarde de sansonnets. Tout en accrochant le coffre trop plein du type au bec de radiateur avec une vieille ficelle il laisse trainer ses yeux au fond du paysage et s'esclaffe, C'est sur que si la rouille était de l'or, je ne serais pas loin d'être le King...
Thomas Vinau