Une clameur
J'ai entendu des cris. Ils venaient de partout. La lucarne froide ramenait des images. Des infos, comme ils disent. La hausse des prix, les dents de la misère, la maigreur du respect, la boulimie boursière, le porno, l'asservissement. Bêtes, terres, gens, exploités, laminés. Il y avait ces cris. Une clameur. La vie torturée, mutilée, décimée. Néantisée. Cette petite fille paralysée parce que ses tortionnaires avaient voulu la démembrer. Son regard mort. Et son seul bras valide pour désigner ceux qui auraient pu s'appeler frères. Partout la mort récupérée par le profit, les pervers. La mort salement enchaînée aux pouvoirs. La mort trahie, bafouée par des actes, des pensées malades. Pas la faux du soir sur le montant du champ, mais l'abattoir. La terreur. Puis le silence autour. C'est de ce silence que proviennent les cris. De la parole muselée, de la peur, de la faim, de la douleur. Du grand saut dans le vide. Achetez, achetez. L'argent, ce détritus des convoitises et des indifférences. Qui remplace la trique. Qui enterre vivant le Vivant. Achetez. Achetés ! Lâcheté. Le corps meurt quand une main sert à tuer l'autre. J'ai entendu des cris, ils venaient de partout. Il y a dans l'humain une graine de monstre à transformer en fleur. Un tranchant à changer en soc de charrue. Un amour à venir, à cultiver. Pour réparer.
Ile Eniger - Poivre Bleu