Djamal Benmerad
pour Jean-Michel Sananes
Djamal Benmerad est journaliste professionnel de métier et a collaboré en Algérie à plusieurs journaux dont Le Matin en qualité de Grand reporter et à Alger républicain en qualité de rédacteur en chef, ces deux journaux étant par la suite dissous par le régime algérien. A ce titre, il fut amené, avec d'autres journalistes et démocrates, à s'opposer au projet théocratique des islamistes et à l'ordre ultra-libéral et liberticide des militaires au pouvoir. Il fut l'un des premiers signataires de l'"Appel à la Résistance" contre ces "deux têtes visibles de l'hydre" et à troquer sa plume contre une arme feu pour rejoindre en Kabylie d'où il est natif les groupes naissants des "Patriotes armés". A la suite du kidnapping et de la délivrance de l'un de ses fils et après avoir été victime d'un attentat raté en décembre 1998, il s'exila en Belgique où il vit actuellement en qualité de réfugié politique.
Il a publié dans la clandestinité ce qu'il appelle des cercueils poétiques dont "La céramistes et le poète", "Tracts pour rêver", "On ne meurt bien qu'en Algérie." Les éditions Enal lui ont publié "Chant d'impatience" tandis que Le Matin lui a édité un essai socio-politique intitulé "421".
L'auteur vient de mettre en chantier un ouvrage politique qui porte le titre, provisoire, "Islamisme, l'enfer des musulmans" où il tente de démontrer et expliquer que les musulmans sont les victimes de l'islamisme, d'une part, et de l'islamophobie, d'autre part.
Credo
Je ne suis pas l’être d’alphabet
ni cette colonne verbale
qui répond aux mots des uns
avec les mots des autres
mais simple goutte d’ivresse tombée
sur une nappe de musique
locataire d’un manuscrit
que traque l’indifférence
LES POETES
Artisans au verbe indésirable
amants que la folie guette
la chair lacérée
par la laideur contemporaine
les poings meurtris
par les murailles de la nuit
ils persévèrent ils persévèrent
à répandre de l’huile
sous la trajectoire imbécile
du réel
DISAIT L’AUTRE
Ecrivant balle au canon
le sang noir sur l’asphalte
et le sac sur l’épaule
je me heurte aux murs gris
d’un polygone étiolé
« Reste, me dit Abouda
on ne meurt bien qu’en Algérie »
UN PEU DE TOI
Cet enfant que tu regardes mourir
sur ton écran couleur
à partir de New York
Saint Petersbourg
Paris
Damas
ou Johannesburg...
Cet enfant que tu regardes mourir
sur ton écran couleur
c'est un peu de New York
un peu de Paris...
qui se meurt ici à Bentalha
Et ce sang que tu vois couler
sur ton écran couleur
ce sont les larmes de Moïse
de Jésus
et de Mohamed
qui giclent de la gorge tranchée
de cet enfant que tu regarde mourir
ici
à Bentalha
INFIDELITE
J’ai trompé mon colt
le temps d’un poème
qui rime avec
tel camarade tué
dans une cage d’escalier
REPORTAGE I
En arrivant j’ai trouvé
tes cahiers d’écolier
avec un poème perdu dedans
A trop le lire je souhaite
à trop l’entendre je souhaite
mourir
moins lentement que toi
mon enfant
Toi mon enfant
dont la tête a roulé dans la poussière
mon enfant
dont la tête a roulé
moins vite
que notre honneur dans la poussière
de Guernica à Bentalha
CECITE
Avant j’étais aveugle
A présent je ne vois plus rien
CALIBRE
ils comptent
une à une
les vertèbres de nos jours
pendant que nous crions :
« Mezghenna *
ceux qui vont mourir te saluent ! »
mais ne t’inquiète pas
mon amour
les vertèbres des nos jours
font du neuf millimètres
(*) Mezghenna : nom berbère de l’Algérie
DELIRE
A présent il faut faire vite
écriture impatiente
car embarquée
sur une fièvre trop pressée
J’ai choisi d’en faire
un moment privilégié
de l’action vitale
Pour ne pas chanceler
à l’heure où l’on égorge
mes frères
VOCATION
Ils passent leur temps à mourir
dans une cage d’escalier
à la sortie d’un stade
ou à l’entrée d’un poème
Ainsi en est-il d’Imazighenes (*)
chaque fois que l’un tombe
le suivant se présente au guichet de la mort
Mais vous verrez désormais
ils ne feront pas que mourir
(*) Imazignènes : vrai nom des berbères
UN FENNEC EN OCCIDENT
Dans ma course folle
vers ce mirage d’hiver
un sirocco mortuaire
vint à ma rencontre
Qu'étais-je donc venu
dans ce désert conquérir ?
Moi qui désormais connais
les pitons tranchants du brûlant exil
je reprends la folie et le délire
des grands navires
L’ ADIEU AUX LARMES
J’ai découvert soudain
d’autres rêves que ceux partagés
d’autres réalités que la béatitude
Alors moi l’impie
moi l’ami
des libraires
et des pêcheurs de Bougie
de Bretagne
et de Sicile
je pars
parjure et par vaux
à la recherche d’un vers qui rime au vin
et d’une idée hospitalière
…Et si ma vie est trop longue
je lui fais un ourlet
REPORTAGE II
Les paupières des morts
refusent de se fermer
La vierge n’a plus de corps
mais la haine immaculée
Les frontières du village
sont barbelées de silence
fêlé
par le murmure des survivants
A quelques douleurs d’ici
d’autres villageois creusent
leur propre tombe
avant
la venue des assassins
L’ HEURE D’ALGER
Je rentre dans ma ville
à l’heure des aurores ambiguës
à l’heure des peurs
à l’heure où des solitudes
ne s’accouplent même plus
à l’heure où conspirent
les turbans tachés de sang
à l’heure des gares désertes
à l’heure où s’aiguisent les lames
à l’heure où j’ai mal au cœur d’Alger
REPIT
Il fait beau
Aujourd’hui ressemble
à un jour sans morts
(les journaux)