Convoi fatal
N'y voyez pas de sensiblerie, de ces obsessions "d'écolos " en mal d'être et de vivre, encore moins de ces états d'âmes qui accompagnent dans les salons quelques destins aisées aux teintes roses et chatoyantes, de satin et de mousseline.
Je ne suis pas littérature et encore moins redresseur de torts, je ne prétends pas refaire le monde ni m'accorder la responsabilité de ce jugement dernier, de justicier planétaire!
Mais convenez, que ce qui nous arrive touche au ridicule, au non-sens, à la déraison d'état, à la démesure et surtout à la négation ubiquiste, conquérante de la dignité du genre humain...
De nos urbanités à l'urbanitude, du temps compressé au temps monnayé, nous voilà embarqués dans le train fou et la frénésie de consommations inutiles, pris dans une tourmente qui exclut toute pensée, toute compassion, tout regard sur notre prochain qu'il soit humain ou animal, voire existentiel.
J'habite une ville, qui comme tant d'autre n'est plus qu'un chaos d'individualités en délires, une folie en mouvement, une juxtaposition de besoins et d'envies aussi éloignées de la vie que ne l'est la mort programmée de ce que l'on dénomme le progrès, l'évolution.
La zone industrielle a colonisé les bords de mer et des kilomètres de Côtes, faisant d'un littoral insulaire un gigantesque comptoir de la distribution et du superflu... On y a réussi le pari dantesque des noces de l'or bleu et de l'or noir sur le dos argenté des devises, aux doigts bagués de la possession blasphématoire!!!
Je suis d'une entité régionale qui voit revenir tous les ans le temps fracturé, cloisonné, enclavé comme la prison des foules aux cellules saturées de ces âmes sans saisons que la société et ses systèmes embrigadent. J'assiste à ces lourdes migrations saisonnières, comme à un lâcher de fauves dans l'arène chauffée à blanc des villes du soleil aux plages souillées, aux campagnes incendiées, aux décharges immondes.
Je suis prisonnier dans des embouteillages gigantesques et je ne prends pas mon mal en patience parce qu'autour de moi je sens la charogne et la putréfaction des animaux de compagnie abandonnés sur les routes, morts de faim, de soif, ou écrasés, comme s'éternisent en silence les logiques meurtrières d'États, les pertes inévitables du bitume et de l'acier. Je hume ces vents planétaires aux goûts fétides, aux suints collants de la mondialisation des mœurs et des nouvelles coutumes.
Les joies aux peines se fondent dans le tollé général de la délivrance et des souvenirs de sources.
Le Bonheur des uns et le malheur des autres s'ignorent et l'on se console ainsi des avatars et des avanies de ce monde en pleine effervescence estivale.
En entrant dans le supermarché, là où l'on vend délibérément les denrées de l'industrie gorgées de pesticides et d'antibiotiques, ces tonnes de sang et de viandes abattues, je côtoie le mendiant qui me tend la main au son d'un accordéon triste, de l'orgue de barbarie jouant un air à remonter le temps de l'Est dans l'air torpide du béton et la solitude affligeante, ordonnée en épis lucratifs des parkings.
Je vois les surplus et les denrées alimentaires, aux dates périmées, partir aux ordures de la ville... Ce n'est pas la campagne de la solidarité spectacle menée tambour battant!
Les charriots de plus en plus garnis et plus gros se croisent, cachent l'indigent et son petit chien dans la cohue inorganisée de l'été mesuré qu'il faut à tout prix consommer, dépenser, épuiser. Et dans les rayons, ça bouchonne et ça grince, le temps presse encore, c'est une habitude qui se renforce pendant le temps libre.
Pas un mot, pas un échange, le propos est rare ou méfiant, presque suspect! Et ce sont des villes, des pays, des Europe qui se côtoient, affairés devant ces étalages indécents jetés en pâtures aux consommateurs abusés afin qu'il y perdent liberté et temps, leurs jours mis en menues pièces, inlassablement gagnés, désespérément noyés, innocemment glanés comme des leurres.
C'est ainsi que pour accéder aux mêmes lieux, palper les mêmes rêves, chaque auto, avion et bateau se suit, se colle l'un à l'autre, voyages ou dérades déjà achetés ou vendus qui iront aux commerces du soleil et de l'azur travestis d 'urbanités, de clichés et de mensonges érigés en lieux communs, en authenticité destituée;
C'est ainsi que la nature expire, que la mer étouffe au milieu de l'été des méduses sillonnée de gens pressés, que l'air opaque et glauque montent des artères bouillantes, saturées de la vallée et tire sur la clarté aurorale des montagnes le linceul estival de gaz et de poussières.
Dans l'effervescence de la ville, le goudron et la terre en deuil fondent, ils exsudent une moiteur grasse en guise d'humidité du bord de mer; elle se transforme en nuages épais, étouffants, donnant aux rayons du soleil le droit imprescriptible de vous mordre et vous brûler.
Mais il existe aussi les grandes surfaces du soin et de la santé de saison, on y vend toutes sortes d'antidotes aux forfaits des humains perpétrés contre la fraîcheur et les douceurs d'antan... Elles ne désemplissent pas, on y trouve les élixirs de jeunesse et de nouvelles jouvences!
Ainsi chemine l'imagination des hommes prompte à détruire, à bouleverser le monde et la nature pour leur substituer ses propres sources de richesses.
Comme il est triste d'être de ce convoi fatal, pris dans l'engrenage, comme une roue asservie aux dents meurtrières d'un mécanisme que le profit alimente. Il existe des retraites, des îlots, mais ils recouvrent souvent des allures de fuites et d'isolement.
Et quand l'incendie surgit aux jours de grands vents et de renverse, que le pompier donne sa vie pour sauver autrui et le temple de la nature, la vie continue, âcre et brûlante aux feux de joies de l'été qui se prolongent tard dans la nuit presque étoilée, baignée de l'insouciance qui nous est mesurée.
L'invasion est totale, les soupapes se sont ouvertes, elles sont commandées d'en haut, il n'y a rien à faire que de se trouver happé, broyé et cuit dans la grand-messe de l'été, des vacances que les billets classent, affichent et destinent. Les sympathies iront aux plus offrants, la pièce de théâtre se joue le temps d'un été en quatre actes mensuels... L'hiver et ses tempêtes effaceront les blessures d'une occupation que les comptes tolèrent.
Entre servitude et urbanitude, il n'y a qu'un pas que le moteur à explosion et l'épargne franchissent de plus en plus lentement sur les routes grégaires de nos libertés confisquées, sur les chemins de nos jardins d'enfants et du temps perdus.
Ne m'en voulez pas, je suis de ce monde, je vis et ressens la fracture, la césure de l'homme et de son milieu, je demeure sur la scène tragique, au bord des nations et d'une civilisation aux abois .
Je me souviens de juillet, de ses brises azur et cristallines, d'Août quand nous posions une tente sous le pin dans la solitude des algues et des dunes; le soleil était tendre et la brise si fraîche qu'elle nous imposait à l'ombre l'étoffe du soir.
Les nuits étoilées étaient silencieuses et claires, espérantes comme une attente, un espoir. Et chaque jour s'annonçait de ces découvertes, d'un renouveau à jamais attendus, si rassurant, comme le don de la vie à la nature qui vit en toutes choses.
Le monde est multiple, de joies et d'horreurs, depuis la nuit des temps. Ce n'est pas une fatalité et plus que jamais, je suis de ceux qui, de plus en plus nombreux, appellent à l'insurrection des consciences pour que cesse définitivement l'impérialisme des modèles bloqués et dominants de sociétés qui nous poussent irrémédiablement vers une cruelle et meurtrière impasse de feu, de sang et de morts à retardement.
Pasquin d'Ota