Une blessure au flanc

Publié le par la freniere


On sait que le temps passe. Il n’y a pas de page sans ratures, de route sans faux pas. Je ne compte plus mes rides. Je collecte mes pas pour en faire une route. Je pousse un peu les mots sur le bord du silence. Dans la maison des os, la peau sert de mur. À chaque vent des doigts, les planches se soulèvent et laissent voir le cœur. Le sang éclate aux vitres comme un soleil levant. Des fantômes circulent sur le toit du grenier et des termites campent dans le bois du cerveau. Des larmes font du feu dans les orbites creuses. Décoloré, exsangue, l’arc-en-ciel se dresse dans la fumée des balles et l’homme se redresse, une fleur à la main, une blessure au flanc. Il porte son amour comme on porte le pain dans le ventre du pauvre. Malgré le mur du son, la roue du vieux moulin réveille le meunier. Entendra-t-on les feuilles, la source, le muguet et le jaseur des cèdres, le bruit des pas perdus sur l’escalier sans fin ? Je cherche un nid de feu du côté blanc du froid.


La dernière feuille est tombée sur le sol. J’allume un feu de mots dans les quartiers d’hiver. Il y a du sang partout, des larmes sur les murs. La terre a soif. La mer a faim. Le ciel a mal au cœur. Je vieillis sans avoir rien appris sinon les maux de l’homme et les couteaux dans le dos, les sécheresses, les famines, les guerres, les gerçures à l’âme, les brûlures du pétrole sur les mains agricoles, les simagrées du fric à chaque devanture. À défaut d’autre chose, je crache des syllabes, des mots, une phrase entière cherchant encore un sens. J’éructe des voyelles, des mots de gorge, d’abattis, de frayères, des mots qui ruent dans les brancards, des mots qui raient dans les ravages, des mots qui paissent dans les pacages, des mots qui pissent une encre folle, des mots obscurs comme les pépins de pomme, des mots blancs comme l’amande, des mots sismiques comme la terre amoureuse du feu, des mots cosmiques comme les astres lointains, des mots qui vont toucher jusqu’aux lèvres des morts.


À force de creuser les sillons de la vie, j’aurai à peine connu le brin d’herbe taiseux, la vaillance de l’ortie, le blanc silence neigeux, la boue des marécages, la sève sillonnant les routes végétales. Phénix renaissant de la cendre des mots, apprivoisant un loup et le chant des oiseaux, j’apprends encore l’amour. Je n’en finirai pas d’être enfant de bohème dans un palais de glace et la misère du monde, unissant l’espérance aux doigts maigres des jours. Aurais-je appris de l’homme un peu plus que sa mort ? Aurais-je au moins laissé un peu de poudre d’or sur les toiles d’araignée, un peu de la bonté apprise de ma mère ?

 


Publié dans Prose

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