Le vent se lève 4

Publié le par la freniere

Crevés avant l’heure, des enfants jouent sur un cercueil. Le ciel est tombé du toit. Nous sommes tombés de haut. C’est plein d’étoiles mortes sous nos pieds, sans un seul trou noir où cacher notre peine. Le soleil rampe dans la vase. L’absence est noire de monde. On a trahi les bêtes, les arbres, les falaises. Les anges n’ont plus que des bouts d’ailes rognés, des moignons de caresses. Dans cette course folle contre la montre, plus rapide que la vitesse de vivre, on ne voit plus le bonheur ramasser les débris. Comment refaire l’éternité avec des miettes de temps, des secondes usinées, des horaires de comptables, des semaines empruntées ? La terre perd la boule et nous perdons l’amour. On jette ses yeux, ses espoirs, ses rêves avec l’eau du bain. La musique survit dans le chant des grenouilles, dans le son des guenilles, dans le sang des abeilles.

La liberté au fond d’un bock se forge d’autres chaînes. Le temps rempli de choses se vide de lui-même. La vérité ne sonne pas juste. Les larmes coulent à côté de leurs yeux. Les gestes se défont aux bras des marionnettes. L’amitié se perd dans la foule comme un orteil qu’on écrase. Demain traîne encore aujourd’hui sur le dos, l’espoir en bandoulière, le pollen des secondes au bout de chaque doigt, des lambeaux de bonheur arrachés au malheur. Le temps sur les horloges n’est pas celui du cœur. Qu’on avance ou recule, l’espace continue à nous pousser dans le dos. Qu’on monte ou descende, la ligne d’horizon se déplace avec nous. Des hommes se sourient d’un continent à l’autre et d’autres s’entretuent dans le même cul-de-sac.

Big Brother, Saint Négoce, patron des causes commerciales, vole nos âmes pour nous vendre le reste, le dérisoire, le mesquin, le bonheur en pilules de toutes les couleurs qui finissent par nous tuer, l’homme radioactif, les grands ormes malades, du techno, du pop, la cellulite cellulaire. L’amour crève de faim dans les pawnshops du désir. Qu’est-ce qui manque dans la fourrure du loup, la sève des érables, la parole des hommes, la tendresse des mains ? En voulant prendre de l’avance sur sa route, aller plus vite que la vie, l’homme s’est trompé de chemin. Il a oublié l’âme sous les masques, le cœur sous les habits, la monnaie du partage dans l’appétit des banques, le chant des cigales dans le bruit des moteurs. Ne cherchez plus l’espoir. La bouteille à la mer n’est plus qu’un accessoire dans le film des vagues. La langue s’est perdue au fond des dictionnaires.

Je me rappelle encore la chaleur des chandails que tricotait grand-mère, la piqure des ronces en ramassant les fraises et celle des abeilles en recueillant le miel. Je me souviens des mains, des visages, des gestes aujourd’hui enfermés derrière les écrans, des ormes disparus dans le plastique moulé, de tous les mots noyés dans l’encre des journaux. Il reste quelques livres, des musiciens, des peintres, pour traverser le rêve mais on brise les doigts de ceux qui les réclament. Je me souviens de l’herbe à poux, des faunes affolées, de l’odeur des roses que les roses n’ont plus. Je me souviens de la fraîcheur de l’eau, l’eau à la bouche, les yeux pleins d’eau, du rire des vivants dans un village fantôme.

 

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