Le vent se lève 6

Publié le par la freniere

Les routes sont des bornes que les passants déplacent. La mémoire du poète n’est pas celle du temps mais celle qui s’invente. L’absence a toujours un visage, un air de déjà vu, un sourire attendu. En botterlots, en charentaises ou en sandales, assis, couchés ou en bouddha, mes mots se tiennent debout. Je me bats avec eux, jamais pour des idées. Se relire, c’est se retrouver seul le lendemain de la fête, un balai à la main. La fleur qui ne veut pas sortir, je la mets dans la terre d’un mot. Je borde ses racines. J’imagine sa tige qui pousse vers le cœur. Les mots ne sont plus là quand le silence revient. Ils sont déjà ailleurs, dans le vol d’un oiseau, dans la couleur du soir, dans la douleur des mains. Quand un homme se couche, un autre homme lève. Une autre fleur pousse dans la fleur qui n’est jamais la même.

Enfant, je prenais les cailloux pour mes pieds, les branches pour mes bras. Je marche du même pas entre chaque voyelle. Je prends la pluie entre mes mains et je reste petit. Je marche avec mes mots sur une herbe vivante. Je parle quelque fois aux petites fleurs assises sur le bord de la route, aux valises oubliées sur le quai d’une gare, aux poteaux de téléphone qui cherchent leurs racines. Il n’y a pas de ciel sur les cartes. J’y avance à bas mot, à bas bruit, pour ne pas réveiller les nuages. Je me taille une route à la pointe de mes pieds comme on taille un crayon. Je laisse des pas d’eau sur le sable des pages. Il n’est pas vrai que la nuit dévore les enfants. Elle caresse leurs joues avec les mains du rêve.

J’ai rencontré les mots dans une salle d’attente, à la sortie de l’école, sur le comptoir d’un bar, dans un vieux train rouillé, dans les yeux d’un quiscale, dans les souliers d’un mort. J’avance comme un aveugle dans le dédale du cœur. J’ai mal à chacun des mots qu’on m’empêche d’entendre, à chacun des yeux qu’on empêche de voir, à chaque main sans caresse, à chaque homme qu’on habille en soldat.

Certains flottent dans un sourire. D’autres étouffent dans les larmes. Le panier du jardin est rempli de cailloux. L’horloge ne sourit plus. Ses aiguilles sont tristes. Le ciel a replié l’horizon dans son poing et le soleil boude dans son coin. Quand la peau rapetisse le squelette sort de ses gonds. Les jambes du visage laissent des rides au front. Les muscles des images sont attachés aux mots, la chair du silence aux os de la parole. Chaque geste a sa propre musique. De nerf optique en corde vocale, j’en dessine les sons. De vertèbre en phalange, j’en recherche le sens. Il arrive que les lignes de la main fassent des nœuds. Il faut les dénouer à force de caresses.

Je ne tiens pas la pluie en laisse, le violon dans l’étui. Je ne tiens pas les phrases en laisse. Mes mots sont simples comme un enfant. Je les ai pris dans l’eau du cœur, dans la terre de l’âme. Je les offre aux oiseaux quoi ne savent plus voler. Je croque la parole comme un pain, comme un œuf. C’est le bruit d’un ruisseau. C’est le vent dans les blés. C’est le chant d’un oiseau. Je suce les voyelles comme on suce un caillou. Par le trou d’une oreille, je laisse entrer le vent. Il me rapporte la musique comme le ferait un chien.

Chez moi, vous trouverez un lac dans la chambre d’ami, une forêt dans le salon, une colline réfugiée dans la cave. Vous entendrez ronfler un nuage dans le grenier. Vous trouverez des mots sur tous les coins de meubles, de l’encre sur le sol, des fauteuils encombrés de voyelles. Des oiseaux d’hiver ont fait leur nid dans le frigidaire. Je dois sortir parfois pour retrouver mon corps. Tout commence par un point mais les phrases ont tôt fait de le pousser du pied comme on fait d’un caillou.

Je ne serai jamais voyageur de commerce. Je n’ai qu’un livre sous le bras et des trous dans les bas. Je porte sur le dos les accolades perdues. À défaut de musique, je chante à l’aide d’un sourire. On entend autre chose avec l’oreille des oiseaux. Les pierres changent de place avec un petit bruit. Elles profitent de la nuit pour faire une montagne. Quelques gouttes d’eau se perdent sur l’autoroute des pluies. C’est dans leur égarement que nait l’éternité. Le temps recrache quelque fois le noyau d’une horloge. Un petit bout de laine me rattache aux moutons. Un caillou dans mon bas m’apparente aux montagnes. J’écris avec des mots pareils aux boutons de ma veste. Je déboutonne le silence. On fait ce que l’on peut pour répondre aux oiseaux.

Malgré les trahisons, les prisons, les pollutions, les chiffres, les refusés, les oubliés, il reste encore de merveilleux nuages, les cinq doigts de la main qui s’unissent parfois, les oiseaux, les insectes, la lumière d’un œuf dans le nid des ténèbres, le silence entre amis autour du dernier verre. Tous les jours j’allume un feu, je grimpe la colline, je regarde le ciel. Je donne sa place à l’espérance, le plaisir d’une bouche à la pomme oubliée, les couleurs du rêve au noir de la nuit, le ventre chaud d’un mot à la chose innommée.

1 novembre 2006

 

Publié dans Le vent se lève

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