Françoise Delcarte

Publié le par la freniere

 

Françoise Delcarte (1936-1995) Elle est belge. Sa biographie qu'elle jugeait dénuée d'intérêt tient toute dans ce qu'elle a écrit. En la lisant on perçoit fort sa préoccupation pour la psychanalyse. Lacan, particulièrement. Et aussi pour des auteurs tels que Bataille, Jabès, Michaux ou Merleau-Ponty.

Levée d’un corps d’oubli sur un corps de mémoire. Ce recueil se compose d’une séquence de poèmes qui forment un ensemble. Le titre annonce les thèmes dominants : l’oubli, la mémoire, la « levée » (allusion à la fois à « levée du corps » et « levée des scellés »). La poète présente les choses comme des constructions de langue : les mots prennent la place des choses ; elle opère des subversions déroutantes de sens, fracture la syntaxe dans une forme très personnelle de poésie. Son œuvre entière (trois autres recueils) peut être décrite comme une tension constante entre destruction et reconstruction. Ici le « corps d’oubli » se reconstruit en « corps de mémoire ». De même, le recueil Blancs sur Blanc, publié à titre posthume en 2001, porte en exergue : «Soudain/ l’odeur des menthes dans un texte oublié ».
 
 
 
Infinitif, Seghers, 1967
Sables, Seghers, 1969
La part de l’oeil N 6, Part Œil, 1990
Levée d'un corps d'oubli sur un corps de mémoire, Talus d’approche (1995)
Blanc sur blanc,
Taillis Pré, 2002
Infinitif (suivi de) Sables,
Taillis Pré
 
 
 
J’ai arrimé des ports.
 
Sous l’aisselle des vagues
Mes mots ont transpiré,
Épongés par le sable fin de chaque plage,
Où je t’ai rencontrée.
 
La mer et son pelage,
Le jour et ses efforts, ses fiertés de rapace,
Ont bandé nos corps.
 
Je crois qu’il ne faut pas nous chercher d’autre race,
Ni d’autre particule.
 
Le temps qui éjacule l’a fait à notre place.
 
*

Je promène mes plages.
Jadis, j’ai dû m’aimer.


À présent je réside
En de vieux temps tannés,
Dont le jour seul décide.

Demain nous fera face,
Dans des étangs ruinés,
J’écrirai ma préface.

Rien n’aura sur la terre
Le droit d’être l’aîné,
Rien,
Si non dans la pierre,
La fissure,
Et le fait d’avoir joué l’été.

*

 
Soirs de bourres et d'écumes
dans un lâcher d'étés:
comme si s'était accoudé en nous le vertige
dans la montée basanée de l'histoire,
au solstice de quelque chose de déjà trop précoce
et comme s'il s'était agi d'un retard du réel,
de sa défection latente,
d'un liseré de poussière déterminant
le jour juste sous la paupière,
fraction ou décimale ajoutée à quelque lumière
comme d'en distraire la vitesse,
quart obscur sur lequel,
tournoyant et tournant,
l'écriture se rejoue,
bille, toupie, cerceau.
 
J'ai longtemps marché sur des échasses,
comme à proximité de moi
assez
suffisamment pour savoir
la taille exacte de l'enfance:

elle est grande, très grande et rien ne lui ressemble,

sauf peut-être l'infiniment petit
tapi dans l'écriture dont elle était l'errance.
 
*
 
 
D’une enfance

accoudée de très près aux choses,
nous avons dû sortir en nous divisant
sur nous-mêmes :
un signal aurait donc été donné
la fourche abrupte d’un orage
dans une toute première forêt
ou cet embranchement de chêne
et de hêtre
par quoi le mot s’était
nommé
et installé
à notre place :
catapulte ou tir d’arbalète.

 
 
Françoise Delcarte

Publié dans Les marcheurs de rêve

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