À voix haute

Publié le par la freniere

Mon cœur tient par une épingle sur la toile du rêve. Un chagrin se mélange d’un rire, un silence d’une note, une phrase d’un crayon. J’avance comme une eau se battant contre elle-même, un ciel qui aurait le vertige, une route qui boite, un pied sur l’accotement, l’autre dans le fossé. Vivant, on peine à savoir vivre. Mort, saura-ton ce que c’est que mourir ? Il ne faut rien faire pour écouter Mozart. Ne rien faire est un don. Je refuse d’être un homme quand l’homme fait des affaires. Il n’est pas surprenant que je passe pour un anachorète, un anarchiste, un bum. Si j’étais un oiseau, je m’évaderais de la prison du ciel. D’ailleurs je m’évade de la cage d’un livre. Je récite à voix haute. Je sculpte le silence. Il faut un peu d’absence, un peu de solitude, pour supporter les hommes. Il faut un peu d’espoir pour affronter le pire. C’est toujours un miracle ouvrir les yeux, tendre la main, se gratter le nez. La vérité d’une main tient dans ses gestes, celle du cœur dans ses veines, celle de l’homme dans ses rêves. Seule la musique sait tutoyer le silence. Ils se confondent quelque fois. Dans la musique des mots, la césure est une forme de tacet, la virgule une pause. Les points de suspension sont les essieux du non-dit, du probable, du non-certain. Chaque chose fait sa propre musique. Il nous manque l’oreille pour l’entendre.

        

Il y a probablement plus d’histoires heureuses que de malheurs. Elles se cachent pour survivre. La société n’accepte pas le bonheur gratuit. L’économie doit vendre, des faireparts et des cartes de vœux, des armes et des bouquets de fleurs, des idées toute prêtes, des couches pour les vieux et le travail des enfants, des feuilles de musique et du papier à cul, même le sentiment, surtout le sentiment. En congédiant l’enfance, c’est l’homme que l’on vide. On l’évide de son âme. Je ne sais pas faire le beau. Je ne sais pas mentir. Je ne sais que répondre oui à la chaleur du soleil, à la fraîcheur de l’eau, au goût des pommes sures et même à la fatigue. Je suis comme une bête qui flaire l’eau du lac. Je suis un paresseux qui n’arrête pas d’écrire. La marche sous la pluie efface l’apparence. Les hommes sont égaux devant les ouragans. Où les châteaux s’écroulent, des nids d’oiseaux tiennent le coup. Je m’accommode fort bien de la simplicité. J’écris lorsque j’ai soif. Je lis lorsque j’ai faim. La vraie beauté ne se vend pas et la bonté se prête comme on prête l’oreille.

        

Je suis voisin du trèfle, cousin des marguerites, vieux mon oncle des herbes, grand-père de la pluie, petit-fils d’une île, d’une étoile, d’une comète. Je suis la terre entière par un seul de mes doigts, tout l’univers au bout d’un vieux crayon. Je suis comme une auberge hébergeant l’espérance sur le comptoir du zinc, un terrain qui déraille pour aller vers l’amour. On imagine mal les morts malheureux, pourtant, on trouve normal que les vivants le soient. L’intelligence de l’eau contournant un obstacle m’intéresse plus que celle de l’homme faisant la guerre avec des drones. Un mot, c’est toujours un peu plus. Il faut anticiper l’amour pour écrire, ouvrir les yeux plus grand, tendre les mains et respirer la vie. Ce qu’il y a à dire, tout le dit. Il suffit d’écouter. Il faut voir dans l’homme ce qui lui survivra, ce qui lui survit déjà dans le moindre des gestes. Ce qu’on aime dans la vie n’y est pas, et pourtant, c’est ce qui nous fait vivre. Ce qui nous fait aimer est sûrement plus grand que la vie elle-même.

Publié dans Prose

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V
<br /> Il y a des mots que j'aurais aimés écrire tant ils résonnent en moi, tant de mots enfermés faute de pouvoir les dire. Aussi, Monsieur, de tout coeur merci ; car à travers votre prose, mon âme<br /> s'en va légère. Merci, merci....<br />